vendredi 6 décembre 2013

Lang Son, une ville dans la tourmente des journées des 9 et 10 mars 1945...

             Le général Sabattier, ancien commandant supérieur et délégué général du gouvernement en Indochine, dans son recueil de souvenirs relatifs à la période 1941 - 1951 intitulé "Le destin de l'Indochine" publié chez Plon en 1952, nous a légués le récit du coup de force du 9 mars 1945 tel que l'on vécu les cadres et les soldats de la garnison de Lang Son.

Cet officier qui est ensuite parvenu à s'exfiltrer avec une partie des survivants du coup de force vers la vallée de... Dien Biên Phû... nous livre dans ce livre accessible en ligne sur internet, ses réflexions et ses préoccupations pendant cette période troublée : http://sach.nlv.gov.vn/sach?a=d&d=tfZfHB1952
On trouvera de larges extraits de ce livre au bas de ce billet...




S'agissant de l'histoire de l'Indochine pendant le second conflit mondial, il existe bien entendu nombre d'autres documents très intéressants dont l'ouvrage de l'amiral Decoux "A la barre de l'Indochine", qui vient d'être réédité. Indépendamment d'un billet ultérieur dans lequel j'essaierai de synthétiser la bibliographie et les informations en lignes utiles à propos de ce sujet, il est possible de se reporter à ces sites internet très intéressants :
- le récit passionnant fait par le colonel Medrano : http://www.anac-fr.com/2gm/2gm_93.htm
- le site de l'ANAI : http://www.anai-asso.org/
- le site de l'ACUF : http://www.acuf.fr/_la_nuit_tragique_du_9_mars_1945.html
Précisons enfin que ceux qui souhaiteraient avoir une vue d'ensemble au sujet des combats de mars 1945 peuvent aussi consulter ce lien :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Combats_en_Indochine_(1945)
Cette liste n'est bien entendu pas exhaustive...

Pour "faire court", rappelons succinctement les faits grâce à l'article ci dessous, extrait du dossier spécial Indochine de la revue Ancre d'or - Bazeilles (n° 345) :
“C’est à Langson, verrou de la porte de Chine, que le courage des Français et la cruauté des Japonais atteignent des sommets. L’état-major nippon tend un traquenard en invitant à dîner les autorités civiles et militaires le 9 mars à 18h30. Le général Lemonnier – qui commande la 3ème brigade de la division du Tonkin et dispose à Langson d’un peu plus de 1 200 hommes -, décline l’invitation. Mais, pour éviter tout incident diplomatique, il autorise le résident général Auphelle, le colonel Robert commandant la garnison et ses adjoints, le lieutenant-colonel Amiguet et le chef de bataillon Leroy, à s’y rendre. Au cours du repas – il est 20h00 -, le commandant d’armes japonais annonce au colonel Robert que la garnison française sera attaquée à 21h00 et lui demande de donner l’ordre de non-résistance ; le colonel refuse ; les invités sont faits prisonniers. Amiguet et Leroy sont abattus. Au même moment, 8 à 10 000 soldats japonais attaquent les positions de la citadelle et des forts Galliéni, Négrier et Brière de l’Isle. La résistance acharnée qui leur est opposée, à un contre dix, permet aux troupes françaises de tenir toute la nuit et une bonne partie du lendemain, voire au-delà. Exaspérés par les lourdes pertes subies (huit cents morts), les Japonais tentent d’extorquer au général Lemonnier, fait prisonnier le 10 mars dans la soirée, un ordre de reddition.
Devant son refus, il est conduit, avec le résident Auphelle, à proximité de Langson, dans les grottes de Ky Lua où ils seront décapités. Le colonel Robert subira le même sort un peu plus tard. A l’issue des combats, les Japonais exécuteront sauvagement les prisonniers, à l’exception d’une centaine de grands blessés jalousement protégés par le médecin commandant Clerc.”

Voici le récit par un témoin de l'exécution du général Lemonnier et du Résident Auphelle tirée du même dossier de la revue "Ancre d'or-Bazeilles" :
“Avec quelques prisonniers, dont le général Lemonnier et le résident général Auphelle, nous avons été amenés à Ky-Lua, près d’un rocher en forme de menhir au pied duquel une fosse était creusée. Un caporal-chef de la Légion, couvert de pansements, était là.
L’officier japonais qui commandait le fit mettre à genoux au bord de la fosse et demanda au général de signer l’acte de reddition générale. A son refus, le sabre s’abattit sur la nuque du caporal-chef et le corps décapité (fut) poussé dans la fosse. Ce fut ensuite le tour du résident général (vêtu d’un costume gris-pied de poule), la même question étant posée au général. Au nouveau refus de celui-ci, le sabre s’abattit et le corps décapité (fut) poussé dans la fosse. Le général fut alors agenouillé près de la fosse et, à son refus réitéré, décapité dans les mêmes conditions.
Je recommençai à respirer lorsque je vis jeter les premières pelletées de terre sur les corps. ”


Le général Lemonnier

A ceux qui s'étonneraient d'une telle sauvagerie émanant de la part d'un peuple qui passe pour "raffiné, on ne peut que suggérer de relire ce qu'avait dit un ancien conseiller d'ambassade français à Tokyo lors d'une conférence donnée aux officiers en stage au Centre d'études africaines et asiatiques en octobre 1952 à propos de la psychologie des Japonais :
" Quant à l'absence de sentiment de l'égalité humaine /.../ elle se manifeste aussi dans une extraordinaire conscience de supériorité à l'égard des autres peuples qui peut conduire le Japonais aux actes de pire cruauté. Les prisonniers de guerre au Japon ont été, par exemple, très maltraités, souvent torturés et quelques fois massacrés comme les malheureux officiers pris à l'occasion de l'inégal combat de Lang Son.
Il nous est difficile de comprendre que ce même peuple qui, au mépris de tout ce que nous considérons comme loi morale, décapitait sauvagement des officiers français et donnait, à peu près à la même époque, à notre ambassadrice à Tokyo, une marque tout à fait inattendue de respectueuse délicatesse... L'ambassadeur venait de mourir subitement, sa femme avait demandé à être évacuée sur Shanghai... Les autorités japonaises qui venaient de lancer leur pays dans la guerre et disposaient de ce fait d'un nombre infime d'avions de transport, lui réservèrent cependant une place sur un appareil bourré d'importants passagers. A côté de l'Ambassadrice, un fauteuil restait vide. Quelques instants avant le départ, un haut fonctionnaire japonais déposa sur ce siège une gerbe de fleurs et, avec une grande timidité, déclara : " Nous avons aussi réservé un siège pour l'esprit de l'ambassadeur de France"... Peuple étrange, difficile à juger, plus difficile encore à connaître..."

A la fin de l'occupation japonaise et suite au retour des Français sur Lang Son, des recherches furent entreprises pour retrouver les corps des personnes exécutées par les Japonais en mars 1945 :



Sur la photo ci-dessous on peut voir au premier plan les tombes du général Lemonnier et du Résident Auphelle, décapités dans les grottes de Ky Lua :



Ce monument commémoratif élevé à proximité de la roche trouée, mouvement de terrain caractéristique, n'est aujourd'hui plus visible car il a été rasé... mais il occuperait selon Serge Desbois l'actuel emplacement du grand marché couvert de Lang Son... Personnellement, en m'appuyant sur des vues Google Earth, je pense qu'il se situait plus vraisemblablement à l'emplacement de l'actuel stade situé de l'autre côté de la route, au pied de la ligne de crête caractérisée par un trou circulaire dans la roche au sommet. Compte tenu des dimensions de cette nécropole, il me semble que l'emplacement du marché est trop réduit ; par ailleurs, la désaffection de la nécropole offrait aux Vietnamiens un excellent terrain correspondant globalement à ce stade. 
Toujours, selon le docteur Serge Desbois, à cet emplacement reposaient les restes de 69 officiers, 170 sous-officiers, 271 soldats et légionnaires, 600 soldats indigènes auxquels il faut ajouter 7 civils. La plupart des corps ont sans douté été rapatriés par la suite sur la nécropole de Fréjus :

Le monument élevé en 1947 à la mémoire des victimes du coup de force japonais

Le marché couvert...

L'inauguration en présence de M. Bollaert










A l'attention de ceux qui souhaiteraient connaître les détails des combats de la garnison de Lang Son, les documents ci-dessous, élaborés à partir des comptes rendus et rapports rédigés par le commandant Vernières blessé lors de ces journées tragiques permettent de mieux appréhender le déroulement des événements.
Parmi ces pièces qui ont été mises en annexe du livre du général Sabattier figurent notamment le récit de la mort du colonel Robert mais aussi celle du colonel Lecocq, légendaire méhariste, qui en ce qui le concerne fut toutefois tué à Moncay :












Nota : j'essaierai prochainement de diffuser les biographies de quelques uns des officiers cités dans ces articles, certains comme le colonel Lecocq ayant été des personnages de légende au sein des troupes coloniales, avant de devenir les héros malheureux de ces journées tragiques... du moins lorsque je serai parvenu à remettre la main sur un vieux document du CMIDOM qui dort au fond d'une de mes cantines en France...


A l'issue du rappel de ces événements, je vous invite à présent à faire un tour d'horizon des différents forts défendant Lang Son avant d'aller jeter un coup d’œil du côté des grottes de Ky Lua, théâtre d'un des raids aéroportés les plus célèbres de la guerre d'Indochine, l'opération Hirondelle...






















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