samedi 22 février 2014

La RC 4 de Dong Dang à Na Cham

     Continuant notre périple, après Dong Dang la route poursuit en direction de Na Cham qui était le village autrefois tenu par la 2° compagnie du 3° REI du légendaire capitaine Mattéï...






Délaissant la bifurcation vers Khau Khe, la route menant vers Na Cham puis That Khê franchit tout d'abord le tunnel de Tha Lai, à quelques kilomètres au nord ouest de Dong Dang. A cet endroit, si les véhicules montant vers le nord empruntent comme autrefois le tunnel, ceux qui redescendent vers Lang Son utilisent désormais une voie extérieure qui permet un croisement sans souci.

Un tunnel chargé d'histoire...


 Un passage étroit, autrefois emprunté par la voie ferrée Dong Dang - Na Cham


La rivière et les collines à l'ouest 




Les calcaires dominant à l'est le tunnel

Rappelons que ce tunnel a joué un rôle non négligeable lors de la progression de la colonne Lepage en direction de That Khê en septembre 1950. Partie le 16 de Lang Son par la RC 4, officiellement pour venir en aide à la garnison de Dong Khê attaquée depuis le matin (Opération Tiznit), la colonne s'est retrouvée coupée en deux le 17 à cet endroit. Si le 1° Tabor avait pu passser sans souci quelques heures auparavant, les hauteurs dominant à l'Est le tunnel ont été occupées dans la nuit par un régiment viet venu de Chine, chargé de bloquer la montée de renforts vers That Khe.
Le 3° Tabor du commandant de Chergé, renforcé par le 60° Goum du 1° Tabor laissé en arrière par le capitaine Feaugas, fut chargé de dégager la position car il n'y a aucune possibilité de débordement entre la montagne à droite et la rivière à gauche...

Voici d'ailleurs le récit que fait le sous-lieutenant Charles de Pirey de ce combat :
" Tandis que le poste de Dong Khê, une deuxième fois, subit l'assaut du Vietminh et que mon Goum est parti ravitailler le poste de Bao Lam, à vingt kilomètres de Dong dang, vers l'ouest, un régiment régulier ennemi, venu de Chine, sans plus de façons s'installe de part et d'autre du tunnel de Tha Lai pour empêcher les renforts français de monter vers le nord, en coupant la RC 4 entre Dong Dang et Na Cham.
A l'endroit choisi par l'adversaire, la route longe une série de massifs calcaires qui délimitent la frontière. La voie ferrée se faufile le long des rochers : à droite c'est la Chine, à gauche le Tonkin. Le tunnel sous lequel le chemin de fer passait autrefois est un lieu particulièrement propice aux mauvais coups et plusieurs embuscades viet se sont démasquées à cet endroit, dans le passé. elles étaient sans importance cependant en regard de la grande mise en scène d'aujourd'hui.
L'affaire a commencé dans la matinée du 17 septembre. Notre commandant avait reçu l'ordre de rejoindre un de ses goums, cantonné à Na Cham, avec le monde qui lui restait à Dong Dang. Il était prévu que notre unité rattraperait le gros du bataillon, dès le retour de Bao Lam. Les Vietminh sont arrivés au tunnel un peu tard mais ils ont quand même eu le temps de prendre à partie les derniers véhicules du convoi. Nous avons eu quelques pertes. Un peloton d'auto-mitrailleuses, venu de Na Cham à la rescousse doit faire rapidement marche arrière en emmenant ses blessés.
Le colonel Constans envoie de Lang Son, par camions, le 3° Tabor, afin de culbuter l'adversaire. Ce renfort débarque à Dong Dang et remonte à pied vers Tha Lai, en se couvrant. Son chef, le commandant de Chergé, installe son PC au poste de Tha Lai, sur lequel, des calcaires, les vietminh tirent déjà des rafales d’armes automatiques. 
Perpendiculairement au poste, de la gauche vers la droite, le terrain se compose de collines peu boisées, vallonnées et basses, une rivière borde ces hauteurs, puis vient la route, puis la voie ferrée, puis les calcaires de Chine. Le poste de Tha Lai, juché sur un piton, domine le panorama. Une mince bande de rizières cultivées encadre la rivière, jusqu'à Na Cham.
Un goum progresse sur les hauteurs de gauche, un autre escalade les calcaires, un troisième s'efforce d'ouvrir la route. Les trois unités prennent simultanément contact avec l'ennemi, très mordant, et le combat s'engage.  Aux mortiers lourds adverses, nombreux, répondent avec efficacité les deux canons de 105 de Dong Dang.
Nous sommes fourbus : quarante kilomètres en neuf heures dans un terrain difficile, par 40° d’une chaleur humide et suffocante, sous un soleil, voilé mais perfide, c'est dur ! Aussi espérions nous bien faire un bon somme réparateur ce soir, après avoir pris un bain et avalé un solide casse-croute. Il n’est plus question de tous ces projets ! Les premiers tués et blessés arrivent sur des brancards ; Peu après l’ordre parvient au lieutenant Spor de se rendre en quatrième vitesse avec son Goum au poste de Tha Lai et de se mettre à la disposition du commandant de Chergé.
Nous planquons les goumiers dans les fourrés accrochés au piton sur lequel est construit le pote et nous nous rendons auprès du commandant. Les balles sifflent un peu partout. C’est mon baptême du feu et je ne réalise pas encore très bien lorsque la terre se soulève à mes pieds. En revanche, le miaulement des balles me donne la sensation que mon cou rentre dans les épaules. Le lieutenant Spor ne bronche pas et continue à se diriger de son pas sûr vers l’entrée de l’ouvrage. Je le suis tout en jetant un regard d’envie vers des agents de liaison enterrés jusqu’aux oreilles derrière un boqueteau.
Chergé dit à Spor : « Voilà la situation : nous sommes fixés par le feu de l’ennemi sur toute la ligne. A gauche, on me signale des infiltrations nombreuses et inquiétantes. J’ai envoyé mes derniers hommes de réserve et demandé de tenir sur place. A droite, les Goumiers sont au corps à corps dans les calcaires mais ne peuvent plus progresser. A l’endroit où la chaine calcaire s’affaisse, vous voyez un petit mamelon couvert d’arbres et de bosquest ? C’est le dernier obstacle naturel avant la vallée. Si nous le tenons, la route sera réouverte, à condition que mes hommes contiennent l’ennemi comme c’est le cas pour l’instant. Je vous charge de prendre ce mamelon. Bonne chance ! »
Nous avançons au pas de course le long de la rivière, de l’eau à mi-jambes. Les Viets nous ont repérés et nous envoient des rafales d’arme automatiques. A hauteur des éléments amis les plus avancés vers le Nord, il nous faut traverser la route. Les gens d’en face, qui nous attendaient là, nous balancent avec prodigalité des obus de mortier sur le nez. Nous avons plusieurs blessés.
Sans m’en rendre compte, mes appréhensions de tout à l’heure ont disparu : excité peut être par quelque sensation nouvelle, j’entraîne les Goumiers un peu vite vers le mamelon, sans me soucier des obus qui pleuvent aux alentours. Qu’elle n’est pas ma surprise quand l’adjudant Orsini, vieux routier, me lance ces propos défaitistes : « Doucement, mon lieutenant, pas trop vite, nous avons le temps de le prendre votre piton ! Ecoutez les départs de mortiers… c’est mauvais ces engins ! Planquez-vous jusqu’à ce que les obus éclatent, et progressez par bonds avant le prochain départ. »
Au fond, il a été très poli et sensé ; il aurait pu m’envoyer aux « pelotes », ça se fait dans ces cas là, même avec un supérieur…
Nous avons pris le mamelon par surprise et l’ennemi n’a pas eu le temps de réagir. Pour se venger, il nous arrose copieusement à la mitrailleuse et au mortier. Par bonheur, la nuit tombe rapidement, les tirs faiblissent. Un crachin chaud et dense bouche de surcroît l’horizon et bientôt il devient impossible de voir à quelques pas devant soi. »

A l'issue de l'ouverture de la route, la colonne Lepage laissa sur place le 3° Tabor pour finir de réduire les résistances résiduelles et se couvrir face à l'Est de façon à conserver le contrôle de l'itinéraire. Par la suite le 3° Tabor du Commandant de Chergé devait être aérotransporté sur Cao Bang afin de renforcer les éléments de la garnison pour sa tentative de repli vers le sud... Comme le disent les spécialistes, cette unité allait au cours des jours suivants faire cruellement défaut au Lcl Lepage...


Après le tunnel de Tha Laï, la RC 4 longe la rivière «Song Ky Cong» jusqu'à Na Cham où se situait le célèbre poste occupé par la 2° compagnie du Capitaine Mattéi. Précisons toutefois que contrairement à une idée reçue, Na Cham n'est pas le poste connu sous le nom de "nid d'aigle"... Cette position là se situait sur la RC 3, au village de Ban Cao...



Avant les combats de 1950, le poste de Na Cham avait déjà été au coeur de l'actualité lors des journées des 24 et 25 septembre 1940, lorsque la compagnie du capitaine Carli du 9° RIC avait arrêté l'assaut des Japonais qui venaient de franchir la frontière du Tonkin. A court de munitions et obéissant aux ordres de Lang son, nos troupes durent déposer les armes :


La photo ci-dessus, extraite d'un film de propagande japonais, contrairement à ce qui  est souvent écrit ne montre pas des soldats français faits prisonniers lors du coup de force  du 9 mars 45 mais des soldats du 9°RIC capturés lors de l'attaque de septembre 1940 et attendant d'être fixés sur leur sort devant un des bâtiments du fort de Na Cham. Il est possible que le capitaine Carli soit l'officier de gauche qui regarde le cameraman japonais...


Lors de la montée de la colonne Lepage en direction de That Khê, les différentes unités firent étape à Na Cham, soit environ 2500 hommes. A l'époque il existait un petit terrain d'aviation à quelque centaines de mètres au pied du fort, capable d'accueillir de petits avions d'évacuation type Morane.

Par la suite, lors du repli des éléments français de That Khê, la position du capitaine Mattéi devait résister 48h de plus que ce qui lui avait été demandée afin de couvrir le passage des rescapés du poste de That Khé. Submergé par les Viets, le lieutenant Jaluzot devait tenir sa position avec ses 12 légionnaires et ses 15 partisans. C'est dans ces circonstances que le capitaine Mattéi fut conduit à faire tirer ses canons installés en hauteur (que lui avait laissés le Lt colonel Le Page lors de sa montée vers le nord) sur Bo Cung en pariant sur la solidité du poste qui avait jusque-là résisté aux obus des mortiers ennemis. Choqués ou légèrement blessés, tous les hommes de Jaluzot s’en sortiront...

Grâce à la comparaison entre une vue Google Earth et la photo aérienne ci dessus, il est aisé de situer l'ancien poste du capitaine Mattéï car on devine avec les différences de végétation la position des murs d'enceinte ainsi que des principaux bâtiments du fort :



La photo ci-dessus est tirée d'un film ECPAD éalisé par un opérateur embarqué à bord de l'avion du Lt de Fontange. Il s'agissait d'un ravitaillement effectué lors du repli des troupes françaises de That Khê.




L'axe  routier que l'on aperçoit à droite de la photo Google Earth est l'ex RC 4 / QL 4 qui vient de Dong Dang (vers le bas) et après avoir franchi le Song Ky Cong se dirige en direction de That Khê (vers le haut).
Le tracé en rouge correspond à l'ancien périmètre du fort et le tracé en jaune représente ce qui était autrefois un cimetière, aujourd'hui désaffecté suite au rapatriement probable des corps. Un bon point de repère pour comparer la photo aérienne des années cinquante est la vue Google Earth est ce renfoncement de l'enceinte dans sa partie ouest.
Les constructions aux toits rouges situées à l'angle Nord-ouest du fort sont une usine d'alimentation et de traitement des eaux. La présence d'une clôture rend difficile l'accès à l'ancien cimetière, d'autant que le relief assez accentué se double d'une abondante végétation...
S'agissant de la piste Morane, on devine son emplacement probable au sud du poste et en contrebas, dans le talweg.

Pour gagner l'emplacement de l'ancien poste de la 2° compagnie du 3° REI, il faut se diriger vers le marché, situé sur la gauche de la photo (couverture grise de la toiture des halles) puis monter jusqu'à la station d'alimentation en eau de la bourgade. Le chemin très pentu et relativement glissant en dépit du revêtement, débute immédiatement au niveau des échoppes.




Contrairement à ce qui était dit par de nombreux visiteurs, l'emplacement du poste du capitaine Mattéï n'est donc pas occupé par l'armée vietnamienne. Il est relativement facile d'accès... tout au moins jusqu'à l'ancienne enceinte, car ensuite l'intérieur du fort est recouvert d'une abondante végétation qui empêche d'y circuler librement.



Comme on a un peu mouillé la chemise pour grimper dans ce fouillis végétal, il n'y a aucune raison pour qu'on ne prenne pas la pause devant l'une des échancrures du fort du capitaine Mattéï :

Moi avec mon bâton de pèlerin...

Antoine avec sa boussole... 


Une fois franchie l'enceinte, il est nécessaire d'utiliser un coupe-coupe si l'on veut se déplacer à l'intérieur de l'ancien fort... dont les toitures ont disparu. Il ne reste en fait que les murs qui se délabrent sous l'effet des racines :

 Un vestige de baraquement

L'angle intérieur Nord-est de l'enceinte

 Les vestiges des baraques centrales du fort

Notre camarade Claude Munch ayant visite également le vieux fort, voici quelques photos qu'il a bien voulu nous communiquer :



@ Claude Munch



Une vue dominante sur le Song Ky Cong


Vu du nord, une fois franchi le pont, le poste se situe sur le mamelon à gauche des antennes qui marquent par contre une emprise militaire vietnamienne :



Vue générale des abords de Na Cham


La route poursuit ensuite en direction du col de Lung Vaï en passant près du poste de Bo Cung puis en franchissant le col des ananas...







Prochaine étape : le col de Lung Vaï et le défilé de Déo Cat...







4 commentaires:

  1. Bravo pour ces photos qui permettent de mieux réaliser l'environnement des faits décrits dans l'ouvrage de Bonnecarrère "Par le Sang Versé"!!...Merci à vous!!

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  2. Merci beaucoup. Quel dommage que je n'ai pas découvert ces documents avant mes vacances d'août 2018.Vraiment. Bravo à vous. Ja'i vraiment envie d'y retourner en 2019.

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  3. J'adore. Bravo et metci. J'ose utiliser vos photos ?

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  4. J'adore. Bravo et metci. J'ose utiliser vos photos ?

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