jeudi 27 février 2014

Un poste sur le Song Ky Cong...

          L'histoire de la route coloniale n°4, indissociable du drame des colonnes Lepage et Charton, a été marquée tout à la fois par les multiples attaques de convois qui s’efforçaient de ravitailler les positions de la haute région, mais aussi par les assauts menés contre nos postes.

La carte ci-dessous montre le dispositif des postes échelonnés sur la route coloniale n° 4.

 
Carte des postes sur la RC 4
© Indo Editions - "Les combats de la RC4"


Aujourd’hui, plus de soixante après ces événements, il est malheureusement impossible de retrouver les traces de ces postes car ces derniers étaient bâtis avec des matériaux légers, pour ne pas dire de fortune, qui n’ont pas résisté aux dégâts des combats mais aussi du temps.
Ponctuellement, en fouillant soigneusement dans la végétation, on remarque bien évidemment des levées de terre ou des cavités qui donnent à penser que nos soldats ont vécu là et y ont combattu. Un des soucis toutefois que l’on rencontre dans ces tentatives pour " remonter le temps " est que la guerre sino-vietnamienne de 1979 est venue " polluer " les vestiges laissés par la première guerre d’Indochine. Dans de nombreux endroits, comme notamment aux environs de Dong Khê ou du col de Loung Phaï, on peut voir nettement des positions de combats mais ces dernières ont la plupart du temps été aménagées par les soldats vietnamiens qui abandonnant les localités, s’étaient installés en défense ferme sur les hauteurs afin d'installer leurs " sacs à feu " contre les colonnes blindées chinoises.

Désireux de nous faire par nous mêmes une idée de la question, nous avions donc décidé en 2013 avec Antoine et Bernard d’abandonner le bus qui nous acheminait depuis Lang Son à quelques kilomètres en aval de That Khê, juste au franchissement du Song Ky Cong, car cet endroit était autrefois occupé par une de nos unités. En novembre 2014, afin de montrer certains de ces emplacements à nos camarades Tony et Christophe tout en tachant de compléter nos trouvailles précédentes, nous sommes allés revisiter certains de ces sites...

Le pont sur le Song Ky Cong à quelques kilomètres de That Khê


Ce poste qui contrôlait le pont sur la rivière et les sorties sud de That Khê et était tenu par un effectif approximatif du niveau section, fut attaqué à deux reprises (au moins...) :
- La première attaque eut lieu dans la nuit du 16 au 17 mars 1949 : au cours de cet assaut, le lieutenant Le Gouaille de la 8° cie du II° bataillon du 3° REI, chef de poste, fut tué ainsi que dix de ses hommes sur un total de 34 militaires français et partisans pendant qu'en face, on estime à 80 le nombre de vietminhs tombés au cours du combat auxquels il faudrait ajouter une cinquantaine de blessés. (Réf. Journal de marche et opérations du 3° REI).
Après s'être emparé du poste, le Vietminh procéda à la mise à feu de charges explosives qui détruisirent la travée centrale du pont.
On peut voir sur les photos ci- dessous, les résultats de cette attaque, puis après installation d'une travée métallique, la physionomie du pont jusqu'en octobre 1950 :

  Le constat des dégats
© Indo Editions - "Les combats de la RC4"

Vue d'ensemble du pont 
(photo prise en direction de That Khê à partir du poste)
© Indo Editions - "Les combats de la RC4"

Le pont après restauration avec le poste au second plan sur le mouvement de terrain
© Indo Editions - "Les combats de la RC4"


- La seconde attaque qui se produisit dans la nuit du 9 au 10 octobre 1950, était destinée à empêcher le repli des éléments de That Khê et des débris des colonnes Lepage et Charton en direction du sud... En dépit des mesures prises pour contrôler le pont, ce dernier fut à nouveau détruit par un élément vietminh, obligeant nos unités à entreprendre un franchissement de fortune par bateaux pneumatiques. Cette contrainte supplémentaire occasionna une perte de temps considérable qui pénalisa le 3° BCCP... voire contribua à le condamner. Bien évidemment aucune photo n'a pu être prise du pont après cette seconde attaque... on comprend aisément pourquoi...

Ainsi qu'on peut le voir sur ce croquis extrait du JMO du 3° REI (Illustration "Les combats de la RC 4") le site du poste du pont sur le Song Ky Cong s'organisait en deux secteurs, qui sont respectivement en venant de Lang Son :
- à gauche de la route, un point de contrôle (dit poste intermédiaire) où a été bâtie depuis à la place une stèle commémorative ;
- à droite de la route, le mouvement de terrain sur lequel était implanté le poste lui même, protégé par des levées de terre et des mines.
Ces différentes positions ainsi que les mouvements de terrain à partir desquels les vietminhs ont pris à partie nos soldats, apparaissent clairement sur le croquis décrivant l'attaque du 17 mars 1949 :

© Indo Editions - "Les combats de la RC4"


On notera sur la vue d'époque ci-dessous, qu'une piste en zig-zag à flanc de colline, permettait d'accéder à la position centrale. Des maisons et des cultures occupent aujourd'hui cette zone mais on peut parvenir sans souci au sommet en passant entre les habitations.

Le poste et le pont sur le Song Ky Cong autrefois
© Indo Editions - "Les combats de la RC4"

La portion centrale du pont avec la tour de guet figurant sur le schéma
(Photo prise en direction de That Khê)
© Indo Editions - "Les combats de la RC4"

 La stèle à la gloire des soldats vietnamiens tombés lors des combats

Le même mouvement de terrain aujourd'hui sur lequel était bâti le poste principal


A l'issue des combats d'octobre 1950, le pont sur le Song Ky Cong étant détruit, le Vietminh installa très certainement un passage de fortune pour acheminer ses troupes et son ravitaillement en direction du sud et en prévision de l'offensive finale sur Hanoï, dont on peut encore voir les soubassements à demi-immergés :

Les restes d'un pont de fortune sans doute bâti dans les mois suivants l'évacuation de Dong Khê


Par la suite un pont plus élevé, encore utilisé actuellement par les paysans, fut installé :

Le pont intermédiaire

L'ancien pont endommagé par le Vietminh en octobre 1950 est longtemps resté en place jusqu'à ce qu'un pont moderne soit édifié à sa place. Sur la photo ci-dessous on pouvait encore l'apercevoir il y a quelques années :

L'ancien pont des années 50 aujourd'hui démoli
© Indo Editions - "Les combats de la RC4"
(Photo Collection Estève)

Vestiges de l'ancien pont 

Traces d'impacts ou d'éclats sur les soubassements de l'ancien pont


Enfin, en 2000, fut mis en place l'actuel pont qui se situe dans le prolongement de l'axe routier et qui en toute logique occupe donc l'emplacement de l'ancien pont des années cinquante... : 

Vue sur le nouveau pont sur le Song Ky Cong

La rive sud et les abords du mouvement de terrain

Les traces d'une construction artisanale


S'agissant du poste proprement dit, il ne reste pratiquement plus aucun vestige si ce ne sont des morceaux de briques attestant qu'il y avait là autrefois une construction en dur.
L'édification comme sur de nombreux autres anciens emplacements de postes d'une antenne de télécommunication et de l'abri pour les installations électriques a probablement dû finir de détruire ce que les combats et les années avaient déjà mis à mal...
Invités par une Vietnamienne à nous rafraîchir, en l'occurrence la propriétaire du lopin de terre occupant le sommet du mouvement de terrain, celle-ci nous a confiés qu'elle avait ramassé des étuis de cartouches en cultivant son maïs et qu'il y avait des corps enfouis dans le sol... Il nous a été toutefois impossible d'en apprendre davantage... ni de voir l'un de ces étuis...

Le mouvement de terrain sur lequel était bâti le poste français

Des pentes abruptes à l'époque protégées par des palissades de bambous aiguisés 

Vue sur la rive nord et le cimetière vietnamien depuis l'emplacement du poste

Antoine et Bernard à la recherche des traces du poste...

Quelques briques provenant sans doute du réduit

L'emplacement du réduit 
 Morceaux de briques éparses au pied du bâtiment du relais de transmissions

 La zone autour du réduit

Le  piton du poste vu depuis l'extrémité nord du pont

 Le pont sur le Song Ky Cong et le mouvement de terrain

Gros plan sur le panneau


Afin de compléter cette visite de l'emplacement de l'ancien poste du Song Ky Cong, citons quelques extraits de l'ouvrage de base, à savoir les combats de la RC 4 de G. Longeret, J. Laurent et C. Bondroit - Indo-Edition...
Voici ce que les auteurs écrivent concernant les attaques vietminh contre nos postes à partir de 1949 :
" Pour la première fois sur la RC 4, les vietminhs enlèvent ainsi de vive force des positions occupées par une section de la Légion Etrangère. Ils ont alors mis au point le procédé d'attaque qu'ils continueront d'utiliser par la suite pour tenter de s'emparer des petits postes isolés : deux ou trois canons - 75 de modèle ancien en général - et sans appareil de visée ! - sont mis en place sur des pitons environnant le poste et de même altitude que celui-ci, dans un rayon de 1500 à 2000 mètres, c'est à dire hors de portée des mortiers de 60 des défenseurs. Les tubes sont pointés à vue en direction du poste juste avant les dernières lueurs du jour. Dès la nuit tombée, le tir d'artillerie se déclenche sur les fortifications rudimentaires (murs d'enceinte et blockhaus en troncs d'arbre et terre tassée) qui sont écrasées sous les obus et prennent feu. Les fantassins s'infiltrent ensuite dans les défenses accessoires puis donnent l'assaut par vagues successives."

 La zone de franchissement du 3° BCCP


Alors que nous pensions que la tour qui est représentée sur le schéma à l'extrémité du pont côté That Khê avait définitivement  disparu, en novembre 2014 nous avons redécouvert le soubassement de celle-ci dans un jardin immédiatement en contrebas de la route, au Nord-ouest du pont... Passée inaperçue lors de notre périple précédent, elle a toujours été là depuis plus de soixante ans :

 L'ancien soubassement de la tour nord

 Christophe en pleine ascension...



Une fois franchi le pont sur le Song Ky Cong poursuivons à présent notre route, sac sur le dos, en direction de That Khê situé à quatre ou cinq kilomètres... Ceci devrait nous conduire à passer à proximité de l'ancien aérodrome... celui là même ou "le Baron", alias Guillaume de Fontanges, vint récupérer à la mi octobre avec son Junker, les blessés les plus atteints rendus par les Viets après les combats... dont le lieutenant Faulques...


1 commentaire:

  1. Documentaire trés intérréssant.. Hommage à nos hommes présent là bas pour représenter et défendre une certaine France depuis longtemps éffacée de cette région.. sacrifices suprémes oubliés et méprisés... et maintenant nous en avons le résultat.. Merci.

    RépondreSupprimer