vendredi 9 mai 2014

La RC 4 entre le col de Loung Phaï et Dong Khê

          Après le franchissement du col de Loung Phaï débute sur une dizaine de kilomètres la descente en direction de Dong Khê...


Afin de faciliter la localisation des différents points côtés je publie une carte de la zone :

Carte des combats des 1er et 2 octobre 1950
© Indo Editions - "Les combats de la RC4"


Pour les anciens ce tronçon de route, tout aussi dangereux que celui des barrières calcaires de la montée était surtout celui du passage dans le défile de la 73/2, du nom de l'unité qui avait remis en état la route lors de l'offensive Beaufre de 1947 (opération Léa).
Après le franchissement du défilé de la 73/2 c'est enfin la plaine de Napa dominée à l'Est par les massif du Na Nagaum et Na Kheo puis l'arrivée sur Dong Khê.


En débutant la descente vers Dong Khê, immédiatement après la maison où nous avons fait notre photo souvenir avec un drapeau français, on trouve sur la droite une nouvelle stèle édifiée par les Vietnamiens à leurs morts :

 Stèle vietnamienne au sommet du col de Loung Phaï (versant nord)


La côte 703 qui domine le col de Loung Phaï et sur laquelle est monté Antoine au terme de multiples péripéties et de pas mal d'efforts, se situe immédiatement à l'Est du col :

 La côte 703 et la RC 4 en contrebas à gauche


La maison où nous avons fait notre photo souvenir est celle de la photo ci-dessous :

 Vue sur le col depuis le sommet de la côte 703



Le début de la descente en direction de Dong Khê


 La série des 11 mamelons qui se succèdent depuis le pont Bascou
(Photo prise par Antoine Baudot depuis 703)


La côte 703 est un piton très étroit situé qui domine le col de Loung Phaï et  sur  lequel on trouve encore de nombreux emplacements de combat. On peut y accéder soit en gravissant la pente au niveau du col, soit en empruntant comme le firent différentes unités la ligne de crête partant au niveau de la ferme du pont Bascou.
La  montée  sur 703 à partir  du  col  de Loung Phaï est  courte  mais  très  raide. Une  végétation  dense  rend  la  progression  difficile. A mi-pente, selon Claude Leonardi qui a parcouru l'ensemble de la zone,  subsisteraient les vestiges d'un ancien poste japonais (entre le col et 703).
Contrairement à ce que certains peuvent penser, les emplacements de combat qu'on trouve sur 703 ne dâtent pas des années cinquante mais de la guerre sino-vietnamienne de 1979. L'extraordinaire netteté de certains des trous qui ont été creusés n'est en effet pas compatible avec le ruissellement des eaux en saison des pluies, même s'il est probable que l'armée populaire de la fin des années 70 ait utilisé les mêmes emplacements pour s'enterrer que les anciens des années 49-50...

Le 1er octobre 1950, lors de la montée de la colonne Charton en direction du nord,  les environs de la côte 703 furent occupée dans un premier temps par le 1er Tabor, puis après relève par 2 goums du 11° Tabor :  le 8° au sommet et le 5° au col de Loung Phaï. Violemment  attaqué par les bataillons 18 et 23 du TD 102 et 88, dans la nuit du 3 octobre, le 5° goum se repliera sur 703, perdant ainsi le contrôle de la seule porte de sortie vers le sud...
Le 6 octobre, le groupement ROSE du capitaine Labaume avec la 7ème et la 8ème compagnie du II/3ème R.E.I occuperont  à son tour ces  positions  afin  d’assurer  le  recueil  des  rescapés  des  2 colonnes. Plus de 600 d'entre-eux seront ainsi récupérés puis escortés sur That Khê le 8 octobre en fin d’après-midi.


La côte 703 vue du nord et le début de la descente vers Dong Khê 


La photo ci-dessous montre le haut de la vallée qui aboutit au col de Loung Phaï.
C'est par cette vallée que le 19 mai 1950, à la suite de la première attaque vietminh, tentèrent de s'esquiver en direction du sud et de That Khê les éléments survivants de la citadelle de Dong Khe, conduits par le capitaine Brun qui avait pris le commandement du détachement à la mort du capitaine Casanova. 

La vallée vers le col de Loung Phaï et la côte 703 
(Photo prise en direction du sud)


La photo ci-dessous a été prise au niveau de l'embranchement de la RC 4 et d'une petite piste carrossable qui remonte en direction de l'Ouest, environ 2 km au nord du col. Passant au pied de la côte 608 sur laquelle étaient venus s'installer en recueil les hommes du 3° BCCP du capitaine Cazaux, cette piste descend ensuite sur le hameau de Cok Ton et permet de rejoindre la vallée de Quang Liet.

Le débouché de la piste menant vers Cok la côte 608 et le hameau de Coc Ton
(Photo prise en direction du nord)


Après cette petite plaine la RC 4 s'enfonce à nouveau dans une zone propice aux embuscades et qui était redoutée par tous ceux qui participaient aux convois de ravitaillement car la route est dominée à l'Est par une succession de pitons sur lesquels le Vietminh s'installait en toute impunité.

Voici ce qu'écrit le sous-lieutenant Stien sur ce sujet, alors que captif il parcourt la région avec ses camarades du camp n° 1 :
"Après la descente du col, notre colonne de tù binh traverse maintenant le sinistre défilé de la 73/2, ainsi appelé du nom de l'unité du Génie qui a percé la route dans ce relief d'enfer. La 73/2 était dans les années 1947-1950, le lieu privilégié d'embuscades contre les ouvertures de route. La RC 4 y est dominée de part et d'autre par des murailles calcaires. Un ravineau à gauche, un léger plat broussailleux à droite permettent aux assaillants un camouflage parfait. C'était alors une embuscade courte et violente, un assaut immédiat avec achèvement des blessés. Les légionnaires du 3° Etranger appelaient la RC 4 la "Route sanglante", mais la 73/2 était le "Boulevard de la mort". En escorte de convoi, on ne respirait vraiment qu'après avoir passé ce défilé opressant. Le colonel Charton qui chemine à mes côtés, évoque avec tristesse tous les légionnaires tombés dans ce lieu :
- Vous savez, Stien, si l'on pouvait entendre les cris de tous ceux qui sont tombés ici, il faudrait se boucher les oreilles pour avancer !"

En dépit des années qui se sont écoulées depuis lors, cette portion de route est encore aujourd'hui en travaux car le passage entre la rivière et la montagne est vraiment très étroit. La 73 compagnie du 2° Rgiment du Génie dut d'ailleurs en 1948 réouvrir le passage à coup d'explosifs... Aujourd'hui encore ce passage fait l'objet de travaux d'entretiens de la part des TP vietnamiens.

L'entrée dans le sinistre défilé de la 73/2 


 La pousuite des travaux de la 73/2... par les TP vietnamiens


Une zone naturellement propice aux embuscades 


La sortie du défilé de la 73/2 


En sortant du défilé de la 73/2 on aboutit enfin dans la plaine de Napa. Cette portion de terrain est intéressante à divers titres...
Initialement c'est dans ce secteur que le 1er BEP aurait dû être largué pour tenter de reprendre la citadelle de Dong Khê après sa seconde chute (16 septembre 1950) mais ce fut en fin de compte sur That Khê (DZ Est de la citadelle) qu'eut lieu l'opération aéroportée. Si ce changement n'avait pas eu lieu il est probable que le BEP aurait eu de nombreuses pertes car les unités viets qui s'étaient installées sur les hauteurs Est de l'étroite plaine n'auraient pas manqué de prendre à partie les parachutistes.
Comme l'a d'ailleurs écrit le sous-lieutenant Stien : " Sur les pentes du Na Kheo, la 1ère compagnie signale de multiples emplacements d'armes automatiques, vides. Leur camouflage de feuillage est fané, ils ont été installés il y a une quinzaine de jours, pour l'attaque de Dong Khê; si nous avions été parachutés là, nous aurions été hachés par la mitraille avant d'atteindre le sol".


Le début de la plaine de Na Pa
(photo prise en direction du col) 


Mais l'évênement le plus tragique survenu sur ce tronçon de route a sans doute été l'accrochage du 3 octobre 1950 car il sera lourd de conséquences pour la colonne Lepage...
A la suite des combats du Na Khêo (1 au 3 octobre), alors que le lieutenant-colonel Lepage avait décidé de faire acheminer les blessés sur That Khê, le vietminh organisa une sanglante embuscade contre la colonne des porteurs qui remontaient avec leurs brancards en direction du col de Loung Phaï.
Le sous-lieutenant Stien qui faisait partie de l'escorte de ce convoi décrit ainsi cet affrontement dans son livre Les soldats oubliés :
" Tout se passe d’abord bien, les premiers groupes ont déjà traversé le sinistre défilé et grimpent vers le col de Lung Phaï. Puis c’est la fusillade, la cohue, la déroute. Les nord-africains refluent en désordre, larguant les blessés, bousculant les unités qui attendent. Les mulets abandonnés ruent et braient. Le vrai bordel.
Je rejoins le Commandant Segrétain qui a auprès de lui les Capitaine Garrigues et de Saint Etienne. On évalue la densité du feu. Le bruit est important mais le tir en réalité est assez faible. Je distingue le tir nourri d’une mitrailleuse et un tir espacé d’infanterie, mais l’écho de ce cirque calcaire en fait un grondement impressionnant. Je connais bien la 73/2 que les légionnaires du III / 3REI appelaient le boulevard de la mort. Des embuscades limitées mais meurtrières y attendaient fréquemment les ouvertures de route en 48 et 49, à l’époque des convois. Le terrain est tel qu’il n’y a pas de champ de tir, et qu’il ne peut y avoir qu’un nombre restreint d’adversaires. Que le détachement disparate et démoralisé engagé s’y soit débandé n’est pas la preuve d’une embuscade puissante. Mais la cohue, et le désordre mis par les éléments affolés qui refluent empêchent toute action organisée pour tenter le passage en force. Delcros et Jeanpierre ont disparu."


Lors de la commémoration du cinquantième anniversaire des combats de la RC 4 , Roger Barbaud du 5° GOUM du 11° Tabor, a relaté lui aussi les conditions de cette embuscade :
" Le soir du 3 octobre nos chefs décidèrent d’évacuer les blessés par la R.C. 4 en direction du col de Lung-Phaï. Deux sections protégeaient le convoi de soixante à quatre-vingt blessés sur brancards. Le convoi s’engage à la nuit tombée sur la R.C. 4. Après trente minutes de marche un feu d’enfer se déclenche devant la colonne et la prend en enfilade ; les blessés sont lâchés par les porteurs qui se replient en laissant les brancards au milieu de la R.C. 4. Les viêts sont venus, j’en ai vu achever des blessés sur les brancards. J’ai eu la chance de ne pas dormir. Aux premières rafales je me suis glissé hors de mon brancard et avec ma jambe cassée j’ai roulé hors de la route pour me retrouver dans la rizière. J'ai eu beaucoup de chance car à l'instant même passait le major Pauvrot (tué quelques instants après) pataugeant dans la rizière. Il me mit sur le dos et me ramena à notre point de départ. J'ignore le nombre de blessés achevés mais nous restions très peu de brancards à notre point de ralliement." 

L'impossibilité d'évacuer les blessés en direction de That Khê et la perte de contrôle du col de Loung Phaï alourdira la colonne Lepage et l'obligera à s'enfoncer vers l'Ouest en direction des barrières rocheuses dominant la vallée de Quang Liet et que l'on aperçoit en fond de décor sur la gauche de la photo ci-dessous :

 L'emplacement possible des éléments d'arrêt vietminh lors de l'embuscade du 3 octobre soir


L'axe par lequel remontait la colonne des blessés 
(Photo prise vers le nord, en tournant le dos au col de Loung Phaï)


Sur les photographies ci-dessous on peut voir une vue panoramique des abords ouest de la plaine de Na Pa et de la direction dans laquelle se sont esquivés les éléments rescapés de cette embuscade dont les hommes du 1er BEP.








Une fois arrivé aux abords nord de la plaine de Napa, on découvre le massif du Na Khêo qui fera l'objet du prochain article et qui a été le cadre de très violents combats...

Le Nakeo et dans son prolongement nord la côte 615



1 commentaire:

  1. Passionné par la Guerre du Vietnam et par l'Indochine en général (j'étais au Laos et au Cambodge il y a moins de 2 ans, j'ai pris la décision de revenir au Vietnam et parcourir la Rc4 en mémoire de la tragédie... Bravo pour votre passionnant reportage photos illustrant parfaitement la bataille de DongKé d'Erwan Bergot. Merci.

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