dimanche 16 novembre 2014

Le récit des combats de Coc Xa par les acteurs (1) : le déplacement jusqu'aux calcaires

          Après avoir parcouru à pied (ou en images) les lieux des combats de la colonne Le Page, faisons à présent un bref retour en arrière pour voir comment les soldats de l'époque ont vécu les affrontements qui se sont déroulés sur ces lieux...


Même si ces récits sont parfois un peu longs à lire pour le lecteur pressé, ils restent toutefois indispensables pour bien appréhender  le drame qui s'est déroulé ici... Personnellement à chaque fois que je me suis rendu sur le site de Coc Xa je n'ai pu m'empêcher d'avoir des extraits de ces récits avec moi...
Afin de ne pas surcharger le billet je n'ai pas reproduit tous les extraits de cartes précédents.
Pour replacer le lecteur dans le contexte de l'époque j'ai retenu dans ce blog des extraits des récits de trois officiers :
- celui du lieutenant Jaubert qui était chef de section au 8ème RTM (Cdt Arnaud) ; son récit est disponible dans ses mémoires déjà citées et publiées sur internet :
 (http://jaubert.chez.com/indchine.htm)
- celui du sous-lieutenant Louis Stien qui était officier renseignement au 1° BEP (Cba Segretain) ; son récit a été publié sur certains sites spécialisés et dans son remarquable livre "Les soldats oubliés" chez Albin Michel ;
- celui du sous-lieutenant de Pirey qui était officier adjoint dans une compagnie du 1er Tabor (Cne Feaugas); son récit a été publié dans le livre "La route morte" paru chez Indo Editions.
Les récits faits par le Lcl Le Page (sauf l'extrait concernant la percée du goulet) et par le Lcl Charton feront l'objet d'une analyse particulière ultérieure... Je m'efforcerai en effet de souligner sommairement et toutes proportions gardées, car nous ne sommes pas dans les conditions de fatigue, de stress, de faim... et de danger des intéressés, en quoi les choix opérés ont délibérément ignoré certains des principes de base pourtant enseignés dans la tant décriée "Ecole de guerre", aussi bien par le colonel Constans (Breveté Ecole de guerre) que par ses deux adjoints (non brevetés mais chefs aguerris)...

Ces témoignages, illustrés par les photos prises lors de nos différents périples, aborderont trois phases :
- Le déplacement depuis la RC 4 jusqu'aux calcaires ;
- L'installation dans les cuvettes surplombant le hameau de Coc Xa ;
- La percée du goulet.



1 - Le déplacement depuis la RC 4 jusqu'aux calcaires :


11) Le déplacement vu par le sous-lieutenant de Pirey (1er Tabor) :

En ce qui concerne le sous-lieutenant de Pirey, son unité étant en couverture à l'Ouest de Dong Khê, à proxilité de l'aérodrome, il a emprunté globalement le même itinéraire que nous, à ceci près que la piste de l'époque passait un peu au nord de l'actuelle. Parfaitement visible sur les vues Google Earth, cet itinéraire difficile à emprunter aboutit aux environs de la côte 760. A partir de la côte 760, le 1er tabor est ensuite descendu dans un premier temps vers l'Ouest jusqu'à la falaise, puis confronté au vide et ne pouvant déboucher, il a poursuivi vers le Sud afin de trouver avec difficultés le sentier menant vers les cuvettes dominant la vallée...
Voci donc ce qu'écrit precisémment le sous-lieutenant de Pirey :
" Le colonel Le Page décide d'abandonner la ligne de crête de 765 et de se porter vers les calcaires de Coc Xa afin d'y trouver le sentier montagnard qui dégringole vers la vallée en direction de l'Ouest et débouche face aux croupes du Qui Cham, objectif que se propose d'atteindre le colonel Charton avec son groupement.
Le décrochage s'opère dans le calme. L'ennemi ne s'est pas encore manifesté. Mon goum part en éclaireur. nous descendons une pente raide à travers les hautes herbes et, au pifomètre essayons de découvrir la coulée de calcaires où naît le sentier de Coc xa.


La zone entourant les cuvettes, un fouillis inextricable de rochers et de végétation...

Nous nous égarons dans un chaos de rochers pourris, accumulés dans un entonnoir sans issue. Lorsque nous débouchons enfin sur un petit plateau verdoyant, dominé à l'Est par les calcaires de Coc Xa, c'est pour nous retrouver devant un à pic vertigineux qui domine la vallée de plusieurs centaines de mètres. /.../...

"Un à pic vertigineux qui domine la vallée de plusieurs centaines de mètres...."

Les colonnes calcaires qui nous encerclent, se rapprochent de plus en plus et le passage devient un véritable défilé. On ne peut progresser qu'un par un, dominé par des amas de rochers recouverts d'une végétation en décomposition : il y a de fortes odeurs par ici ! Parfois nous sommes obligés de nous glisser entre des bloc de pierres, percés de trous et de petites cavernes. arrivés à une échancrure un peu plus large, nous entrevoyons enfin la lumière du jour. Par cette porte naturelle, nous atteignons le haut du cirque de Coc Xa.
Sur la droite descend, d'abord en pente douce, un sentier qui doit atteindre une source, si la carte est bien renseignée. C'est ce fameux chemin qui ensuite devient particulièrement raide et étroit, puis débouche dans la vallée.


La vue sur la cuvette supérieure depuis la zone d'accès du 1er Tabor

Devant, un chicot calcaire domine le cirque et forme une muraille géante qui bouche l'horizon vers l'Ouest. A droite se niche un hameau montagnard près d'un creux de rochers, puis le terrain remonte en pente douce vers un bois qui prolonge la muraille centrale et masque l'horizon au bord du précipice."

Nota : Bien que le Lt de Pirey n'ait pu me préciser avec exactitude le parcours de son unité dans leur marche d'approche en direction des cuvettes, il est probable que les hommes du 1er Tabor ont globalement suivi l'itinéraire porté sur cette vue Google Earth :

La zone nord des cuvettes où le 1er Tabor a sans doute cherché son chemin...



12) Le déplacement vu par le lieutenant Jaubert (8°RTM) :

Le lieutenant Jaubert pour sa part est venu directement de la plaine de Napa avec le PC Le Page et a du gravir avec difficulté la ligne de crête 760 - 765. Après avoir laissé une compagnie en couverture face à l'Est, les tirailleurs sont descendus avec le PC Le Page dans la cuvette supérieure :
" Charton ne pourra pas aller bien loin sur la R.C.4, Hanoï lui dit d’emprunter une piste à l’Ouest de la R.C.4 qui rejoint That Khê. Cette piste est bien marquée sur la carte, mais dans la réalité ce n’est qu’un mauvais sentier. De toutes façons, il est obligé d’abandonner et de détruire tout son matériel lourd : véhicules, canons, etc...
Quant à nous, nous irons les attendre sur cette piste à hauteur de Dong Khê...
Le Colonel Le Page me paraît un peu perdu. Il me demande si je saurais aller au point de rendez-vous. Je réponds " oui " alors que mes souvenirs ne sont pas très précis, mais il faut partir plein Ouest sur environ 4 km.


La zone de progression depuis Dong Khê au loin...

Me voilà baptisé " guide de la colonne ", et je pars suivi d’une partie seulement des éléments, car un Tabor reste en protection sur la R.C.4 vers le col de Lung Phaï, tandis que les paras-légion, sont toujours sur le Na Keo à se battre comme de beaux diables. Ils nous rejoindront tant bien que mal plus tard. Les morts seront bien sûr abandonnés mais aussi beaucoup de blessés, car pour transporter un seul blessé dans ce terrain, il faut 2 équipes de 4 porteurs se relayant, soit 8 hommes en bon état. Or il y avait près de 100 blessés, dont plus de la moitié devait être brancardée...


Le terrain par lequel est monté le détachement venu de la plaine de Napa

Le terrain que nous traversons, avec la colonne qui s’étire derrière moi est très difficile. Une forêt épaisse, des falaises, des rochers et une pente assez raide. Enfin, nous débouchons sur une ligne de crête dégagée où une compagnie de mon bataillon s'installe. En principe, elle doit attendre un Tabor qui avait essayé de contourner Dong Khê par l’Ouest (Nota : le 1er Tabor) et qui fut assez durement accroché.
Nous descendons, en allant toujours vers l’Ouest, et nous arrivons dans un petit cirque rocheux, où se trouve une jolie source. Le Colonel décide de s’y arrêter pour regrouper ses troupes. Cette décision d’arrêt dans le cirque de Coc Xa  allait nous coûter terriblement cher.
Les viets nous talonnent, la 3ème Cie du Bataillon, qui était installée en recueil, décroche à la suite d’un malentendu et arrive un peu vite sur notre compagnie, ce qui crée un certain flottement.


Les hauteurs tenues par la 3° cie du 8° RTM entre 760 et 765

A ce moment, je vois avec stupeur le Lieutenant commandant ma compagnie qui passe devant moi en courant suivi par quelques tirailleurs. Une belle panique se prépare. Furieux, je me mets en travers de la piste, fais des moulinets avec ma canne, frappe à droite et à gauche et le mouvement s’arrête. Quelques coups de gueule envers les chefs de section et les sous-officiers, chacun reprend ses esprits, et je peux disposer la compagnie en position défensive. Ouf ! Je m’aperçois que j’ai agi comme si j’étais le commandant de Compagnie... Quant au " vrai " je l’apercevrai au P.C. du Bataillon et ostensiblement je ne lui adresserai pas la parole."

Nota : c'est précisément parce que la 3° compagnie du 8° RTM qui tenait la crête s'est repliée à cause d'un malentendu que le 1er BEP et le 11° Tabor du sous-groupement Delcros seront contraints de repartir vers le Sud pour chercher un cheminement dans les calcaires. Immédiatement après le décrochage de l'unité du RTM, les Viets sont montés sur la côte 765, interdisant de fait sont accès au reliquat des unités de la colonne Lepage (sous groupement Delcros et un groupe de blessés d'arrière garde du 1er Tabor). Après avoir trouvé une faille dans la barrière rocheuse, les unités du sous groupement Delcros descendront dans la vallée de Quang Liet à hauteur de la côte 533 où le Lt Tchabrichvili sera tué, puis remonteront vers le Nord par la vallée de Quang Liet et graviront enfin le sentier jusqu'aux cuvettes... 



13) Le déplacement vu par le lieutenant Stien (1er BEP) :

Le lieutenant Louis Stien nous a raconté également comment après que le convoi de blessés soit tombé dans l'embuscade tendue au niveau du défilé de la 73/2 le 3 octobre soir, ils ont été contraints pour rejoindre le reste de la colonne Lepage de s'enfoncer au milieu des calcaires :
" Le Commandant Segrétain prend liaison avec le Colonel Le Page. L’ordre est de le rejoindre sur 765. Cornuault que l’on avait chargé sur un brêle dans la colonne de blessés, nous rejoint en claudiquant.
La colonne se reforme donc pour prendre cette direction, tandis que la seconde pièce de 3 pouces 7 est sabotée à son tour. Il faut quitter la route et rechercher des sentiers qui iraient vers le nord-ouest. Nous marchons à 500 mètres à l’heure. Les blessés brancardés sont ballottés, tombent, sont ramassés. Ils serrent un mouchoir dans leurs dents pour éviter de crier. Quand le jour grisaille, nous ne sommes qu’à mi-pente. On crie du haut du Na Kéo. Quelques bo-doïs y sont debout et agitent les bras. Les Viets, méfiants, ont d’abord envoyé une patrouille, elle est en train de signaler notre absence de la position. Devant cet imprévu, le Commandement Viet cafouille manifestement. Il ne réagit pas, nous ne sommes pas poursuivis. Les Viets sont sans doute eux aussi épuisés.
La progression est un calvaire. On fait du sur place, on dort debout, certains s’écroulent au moindre arrêt, morts de fatigue, il faut les rudoyer pour qu’ils se relévent.
Avec le jour, Jeanpierre et Delcros rejoignent. Pris dans le tir sur la 73/2, ils ont plongé dans le ravin. Ne voyant pas venir d’attaque pour forcer le passage, ils ont pensé que nous irions vers Le Page. Vers midi, 765 est en vue et le contact radio est pris sans difficulté avec Le Page, tout proche. La colonne stoppe pour faire reposer les blessés et les porteurs pendant que le Commandant Delcros va au P.C de « Bayard ».

En fond de tableau les pitons entre lesquels a du s'infiltrer le sous groupement Delcros

Il revient bientôt avec des nouvelles et des instructions : la colonne Charton a quitté la RC4, elle doit emprunter une piste à l’ouest de celle-là, la piste de Quang Liet. Le Page va partir à l’ouest vers Co Xa et nous le suivrons, avec dans l’ordre les blessés, le 11ème Tabor puis le BEP. Une compagnie du 8ème RTM tient 765, elle ne décrochera qu’après notre passage. « Bayard » envoie son Chef d’Etat-Major, le Commandant Labataille, à notre rencontre pour nous guider
L’affaire peut donc encore être sauvée : notre groupement va être réuni et pouvoir opposer à ses adversaires une masse de 3 bataillons en attendant Charton qui descend vers nous avec une force égale.
Et c’est la tuile ! Labataille ne nous trouve pas. Le Page part sans nous attendre, la compagnie Guidon, du 8ème RTM qui tenait 765 le suit. Quand nous arrivons prés de 765, les Viets y sont installés et nous prennent à partie.
La route vers Le Page est coupée. Voila donc la jonction essentielle, vitale, qui est ratée, le BEP et les blessés rejetés dans la jungle.
Au PC du BEP que Delcros a rejoint, c’est la colère et la consternation. On arrive à joindre Le Page par radio. Un message presque inaudible répond, ou l’on comprend seulement « Ordre de rejoindre par un autre itinéraire… » . Un autre itinéraire pour aller où, pour quelle mission ? Notre radio rappelle à plusieurs reprises, aucune réponse, Le Page ne nous reçoit plus.
Il nous faut repartir sans savoir ou aller, isolés, avec nos cent blessés qu’il faut porter ou aider, avec nos hommes crevés de fatigue, tenaillés par la faim, qui donneraient 10 ans de leur vie pour une heure de sommeil.
Delcros, Segrétain et Jeanpierre sont d’accord. On repart vers le sud pour trouver un passage dans la barrière de calcaire et la franchir vers l’ouest. Nous serons alors dans la vallée de Quang Liet que Charton doit emprunter. Là, nous pourrons espérer retrouver le contact par radio avec Le Page.
La lente procession reprend en sens inverse avec le gémissement des brancardés, les blessés qu’il faut soutenir, en dehors de toute piste ou sentier. Ce n’est que tard dans la nuit que nous arrivons au sommet des calcaires à un endroit ou l’on devine une mince faille qui pourrait peut être nous permettre de trouver un itinéraire vers la vallée.


La zone où a du déboucher le BEP, à l'Est de la côte 533

Avec le jour naissant, les goumiers se faufilent vers le bas, bientôt suivis du peloton, tandis que le bataillon s’installe en défensive et que l’officier de Transmissions, le Lieutenant de la Croix Vaubois tente sans cesse « d’accrocher » la radio de Lepage.
Le Médecin-Capitaine Pédoussaut s’est établi sous un surplomb de rocher, une demi-grotte, ou avec ses infirmiers et son collègue Levy du 11ème Tabor il soigne sans arrêt les blessés graves qu’on lui amène. Je le vois terminer une opération sur le Lieutenant de Cazenove, du 11ème Tabor, atteint gravement au bras, sur le Na Kéo."


Nota : les combats menés sur le piton Tchabrichvili seront abordés ultérieurement dans le billet consacré à la remontée vers le col de Loung Phaï (côtes 608 et 703) à partir du hameau de Coc Xa.

2 commentaires:

  1. Vous avez trouvé la faille où les unités du sous groupement Delcros descendront dans la vallée ? Stefan Zingg

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Compte tenu du terrain et étant donné qu'il est dit qu'il s'agit d'une trouée en face de la côte 533, nous supposons que c'est par là que l'essentiel des hommes du sous-groupement Delcros sont descendus dans la vallée... Je publierai les photos du site dans le billet consacré à la remontée vers 533 - 608 - Loung Phaï à partir de Coc Xa.

      Supprimer