dimanche 3 septembre 2017

Au fil des pages : "Un Américain bien tranquille: - Graham Greene

            Si l'histoire de la guerre d'Indochine a été rapportée par les ouvrages historiques, les photos prises sur le vif... le roman, la peinture, le cinéma, les affiches... ont aussi contribué à la faire connaître. Cette rubrique du blog aura donc pour vocation d'évoquer ces différents modes de communication qui au fil des ans nous ont fait connaître chacun à leur façon l'Asie...



          Un Américain bien tranquille (The Quiet American) est un roman de l'écrivain britannique Graham Greene publié en 1955 et adapté à deux reprises au cinéma (1958 et 2002).



Auteur britannique à succès, beaucoup de ses romans mêlant trahison et faux semblants furent adaptés à la télévision et aussi au cinéma. Après la publication de The Quiet American, Greene fut accusé d'anti-américanisme mais il continua néanmoins à écrire jusqu'à sa mort en 1991.
Considéré comme l’un des plus grands auteurs britanniques, Graham Greene est né le 2 octobre 1904 à Berkhamsted en Angleterre. Après des études au Balliol College d’Oxford, il travaille pendant quatre ans comme rédacteur adjoint au Times. En 1929 paraît son premier roman, L’Homme et lui-même, bientôt suivi par Orient-Express (1932), C’est un champ de bataille (1934), Mère Angleterre (1935). Il fait la guerre comme agent de renseignements en Sierra Leone. Ses nombreux déplacements vont nourrir son œuvre : Le Fond du problème(1948), Un Américain bien tranquille (1955), Notre agent à La Havane (1958). Romancier, nouvelliste, homme de théâtre, essayiste, engagé sur les plans politique et religieux, Greene a aussi travaillé pour le cinéma, adaptant ses œuvres à l’écran, écrivant des scénarios, dont ce grand classique du film noir Le Troisième Homme (1949). Décoré de l’ordre du Mérite anglais et nommé Companion of Honour, Graham Greene est mort en Suisse en avril 1991.

Situé à Saïgon au début de l'année 1952, ce roman dépeint deux conflits simultanés, à savoir d’une part une intrigue amoureuse entre deux occidentaux et une jeune vietnamienne, ancienne taxi girl, d’autre part l’affrontement entre deux conceptions de la vie et des hommes.
La première intrigue décrit un triangle romantique entre un journaliste britannique correspondant du London Times d’âge mûr, Thomas Fowler, un jeune Américain Alden Pyle, membre d’une mission d’aide médicale, et la jeune amie vietnamienne de Fowler, Phuong. Cette dernière, délaissant Fowler va se rapprocher de Pyle qui lui a proposé le mariage et une sécurité matérielle que ne peut lui apporter le Britannique déjà marié…
En même temps que se déroule cette intrigue amoureuse, Fowler découvre progressivement la véritable personnalité d'Alden Pyle, qui sous son allure candide et idéaliste se révèle être un agent de la CIA chargé d’apporter un soutien logistique au Général Thé qui souhaite commettre des attentats anti-français, que l’on ne peut manquer d’attribuer au Vietminh.

Ce roman qui s'ouvre sur la découverte du cadavre d'Alden Pyle et se développe en « flashback », fait le procès de l'état d'esprit américain qui tout en se sentant investi d’une croisade à mener au nom du monde libre en arrive à des pratiques machiavéliques nécessitant l’usage de la violence et de la manipulation.

Au-delà de l’intrigue amoureuse et de la description du jeu trouble des Etats-Unis dans l’éviction des Français du Vietnam qui aborde du même le coup le rôle des sectes dans la guerre d’Indochine, une lecture au second degré nous procure à travers le décryptage de certains échanges particulièrement intéressants une approche des mentalités locales et de la conception de la vie en Asie dans les années cinquante...

Quelques extraits de critiques :

« C'est l'histoire d'un trio amoureux sur fond de guerre coloniale dans les années 50 : du temps où le Vietnam était Français. Un viel Anglais et un jeune Américain - L'Américain tranquille du titre - sont amoureux de la même femme. Le premier est journaliste, le second un jeune idéaliste dangereux. C'est à la fois une opposition dans le rapport au monde, le cynisme de l'âge Adulte contre le côté candide de la jeunesse qui ne va pas empêcher la réalisation d'atrocités. Le troisième personnage, la femme, sert en fait de révélateur aux deux premiers. C'est un personnage lisse, distant mais à qui l'on accorde une certaine grace, comme si le temps de son côté était suspendu. La religion a une grande importance dans le roman. la relation entre l'Homme et la Femme est vu du côté sexuel, brièvement, mais aussi dans son rapport à Dieu (le mariage, le divorce). »

« Greene taille ici le portrait d'américains au Vietnam pendant la guerre. C'est passionnant : on suit un journaliste un peu blasé et un jeune américain idéaliste dont les destins vont se croiser, et les discussions enrichir notre lecture. La psychologie des personnages est très bien travaillée, c'est une merveille! »

«  1952. Saïgon. L'Indochine française se meurt. L'armée française perd du terrain, de son influence. Les Américains, longtemps prisonniers de leur idéologie anticolonialiste, et donc en Indochine, francophobes, comprennent avec retard que l'armée française se bat contre le communisme. La guerre de Corée a réveillé les Américains de leur fantasme mais pour les conduire vers un autre, celui de la projection du rêve de démocratie, de frontières ouvertes permettant le développement du saint business. Ainsi, la fin de la France est annoncée par plusieurs évènements politiques : volonté de coup d'Etat de militaires vietnamiens, pression du communisme, revers militaires, et, bien montré dans ce film, l'implication américaine croissante dans ce conflit. Le journaliste britannique vétéran Thomas Fowler constate la fin d'un monde qu'il aime…
Graham Greene dépeint avec lucidité la faiblesse de l'homme face à l'Histoire qui se crée, qui lui réclame sa part d'engagement, sans lui donner toutes les cartes pour le comprendre. L'homme est faible par les sentiments qu'il nourrit, qui chez Fowler, l'ont conduit à privilégier toute sa vie, le plaisir dans l'instant plutôt que la construction d'une vie à deux dans la durée. Il vieillit et prend conscience de son refus physique de vieillir seul. Comment donc arracher sa maîtresse au pouvoir de séduction candide de l'Américain, plus jeune, plus riche, libre de lui proposer le mariage ?
L'Asie ne se laisse pas posséder. L'apparente facilité du sentiment cache en fait des complexités sourdes. Le rêve de démocratie de l'Américain ne tient pas compte de la réalité du terrain. Ah ces jeunes enfants pense-t-il en évoquant les Vietnamiens. Le journaliste britannique lui rétorque que la jeunesse est le siège de toutes les complications au contraire. Seule la sagesse qui vient avec l'âge permet les simplifications. Comploter pour un parti contre deux autres afin de s'en faire un allié pour la vie relève de l'utopie ... sanglante.
Pour apprécier ce très beau roman, il importe, comme avec l'Asie, de se montrer patient. La finesse des détails permettant une juste compréhension, se laisse délicatement dévoiler, au fil des pages, jusqu'à la conclusion. »

On notera également dans le film de Joseph L. Mankiewicz, réalisé un 1958 en noir et blanc mais recolorisé, une grande précision dans la description du Saïgon de l'époque. Si certaines scènes ont été tournées en intérieur, d’autres l’ont été en extérieur ce qui permet de redécouvrir la ville des années 50 avec ses taxi-girls, ses cyclo-pousses, ses endroits à la mode où la bonne société locale vient prendre un whisky-soda…





L'angle de la rue Catinat et du Continental Palace, devant le théâtre de Saïgon

Le pont à trois arches de Cholon


S’agissant du film de Philipp Noyce, réalisé en 2002 en couleur, on notera que la majeure partie du tournage s'est étalé sur cinq semaines au Vietnam, principalement à Ho Chi Minh Ville, mais aussi à Hanoi et à Da Nang. L'une des séquences les plus spectaculaires du film, l'explosion sur la principale place de l'ancienne Saigon, a été tournée sur les lieux mêmes du drame alors que certains de ses figurants, des commerçants des environs, étaient des rescapés de la véritable explosion. Les scènes intérieures ont été tournées en studio à Sydney, hormis celles se déroulant à l'Hôtel Continental, filmées sur place.







Pour en savoir plus sur ces deux films :
http://www.youtube.com/watch?v=upRkdcuuLHo
http://www.dailymotion.com/video/x8xtmm_un-americain-bien-tranquille-bande_shortfilms