samedi 10 mai 2014

Dong Khê : un poste en zone frontière... (1)

          Après ce parcours chargé d'histoire et de sang que nous venons d'effectuer, je vous propose de visiter en détail la petite bourgade de Dong Khê qui parfois est aussi appelée Na Loung car là comme ailleurs, de nouveaux noms ont été donnés... qui cohabitent quand même avec les anciens...


Pour commencer cette visite, nous pouvons essayer de voir à quoi ressemblait Dong Khê à l'époque où le colonel Gallieni était en poste au Tonkin, c'est à dire entre 1892 et 1896.
Sur la photo ci-dessous, un schéma du poste de Dong Khê, apparemment dessiné par le colonel Galliéni montre que la bourgade du début du siècle était essentiellement organisée autour du poste bâti sur un éperon rocheux et à l'intersection des routes menant en direction de la frontière chinoise vers l'Est, de Cao Bang vers le nord ouest et de That Khê vers le sud.
Le mouvement de terrain qui est représenté au nord du poste (courbes de niveau circulaires) est la position que les Français appelleront plus tard "Montmartre" et sur lequel ils installeront un poste de section.
En contrebas du fort, c'est au niveau du marché de Dong Khê que seront édifiés par la suite les bâtiments du quartier Dubouchet dont certains sont encore visibles aujourd'hui.

Photo collection Gallieni


La photo ci-dessous montre la porte principale de l'entrée de la citadelle avec les cadres de la garnison posant en grande tenue pour une photo de groupe :

Photo X
- Collection Deroo -


La photo ci-dessous, probablement prise depuis le mouvement de terrain nord (piton Montmartre) montre la physionomie générale du poste au début du XX° siècle : ce dernier était entouré d'une enceinte fermée et on devine à gauche de l'axe principal séparant le poste du marché, la rampe qui monte à la citadelle et donne accès à la porte principale. En fond de tableau on aperçoit les lacets de la Rc 4 qui contournant les pitons sud se dirige vers le Na Kêo et le col de Loung Phaï.

Photo X
- Collection Decorse -

La photo ci-dessous, beaucoup plus récente puisqu'elle date de septembre 1949, fait apparaître de nombreuses évolutions par rapport au début du siècle.
On constate tout d'abord que l'ancien mur d'enceinte a disparu, que l'emplacement du marché s'est étendu et a été bâti, qu'une piste d'aviation pouvant accueillir les avions légers Morane a été tracée à l'ouest du village... et qu'un cimetière a été ouvert entre la citadelle et le piton Montmartre. Ce cimetière qui accueillait à l'époque les sépultures de nos soldats (parmi lesquels citons le capitaine Casanova commandant de la place de Dong Khê qui après avoir trouvé la mort pendant l'attaque de mai 1950 y fut inhumé avec d'autres par le lieutenant Jaubert), a été vidé il y a quelques années. Les corps ont a priori été rapatriés sur la nécropole de Fréjus et une école a été bâtie au même emplacement. 

Photo aérienne
- Collection Indo Editions -


En mai 1950, à l'époque où le lieutenant Jaubert du 8° RTM (Régiment de tirailleurs marocains) vint tenir garnison à Dong Khê, la place s'organisait de la façon suivante :

Le dispositif de défense d'ensemble en mai 1950
Photo aérienne
- Collection Indo Editions-

Le détail des différents bâtiments nous est fourni sur un croquis du Lt Brondel qui servait dans les rangs de la 4° compagnie :


Une photo aérienne prise à peu près à la même époque depuis l'ouest du village montre un certain nombre d'éléments intéressants... En fond de tableau on voit un mouvement de terrain central avec une échancrure au centre qui sera utilisée par la suite par le vietminh pour y installer deux canons qui tireront en tir tendu sur la citadelle lors de l'attaque de mai 1950... A flanc de pente du mouvement de terrain sur lequel est bâti la citadelle on aperçoit un sentier d'accès reliant celle ci au quartier Dubouchet situé en contrebas : ce sentier qui existe toujours aboutit à l'angle de l'échoppe de notre ami et guide germanophile Lam et a été "durci" puisque c'est aujourd'hui un escalier cimenté :

Dong Khê en 1950
Photo collection Decorse


Sur la photo ci-dessous on voir l'aspect actuel du sentier qui reliait la citadelle au quartier Dubouchet... La construction qu'on aperçoit à droite (et qui est aujourd'hui un lieu d'aisance) ressemble étrangement à une ancienne guérite permettant de contrôler l'accès entre les deux sites :

L'escalier reliant la citadelle au quartier Dubouchet
(Photo JLM)


Sur cette vue Google Earth ainsi que sur les photos ci-dessous, on peut voir à présent la physionomie générale de cette bourgade :

Photo google Earth

 Les entrées Sud de Dong Khê
Photo JLM


 Les entrées Est de Dong Khê
Photo JLM

Les abords Est de la citadelle et la route circulaire
Photo JLM

Sans doute la plus belle maison de Dong Khê...
Photo JLM


Les photos ci-dessous montrent la zone du marché de Dong Khê... anciennement quartier Dubouchet. Un certain nombre de bâtiments, du fait de leur architecture ressemblent au type de bâtiments construits à l'époque pour héberger nos soldats ou pour servir de bureaux, d'ateliers... Il est donc probable qu'il s'agit là des anciens bâtiments occupés par le personnel qui n'était pas installé dans l'enceinte de la citadelle :

 L'ancien quartier Dubouchet
Photo JLM

 Photo JLM

Photo JLM

Photo JLM

Photo JLM


Parmi ces bâtiments, l'un d'entre eux qui se situe presque aux sorties Ouest du village a retenu particulièrement notre attention car son architecture et sa décoration typiquement chinoise semblaient indiquer une ancienneté certaine... Sur un des schémas que j'ai eu l'occasion de consulter (mais dont je ne trouve plus trace malheureusement...) cette maison est répertoriée de mémoire comme une "maison de repos" (et non une infirmerie...). De là à en déduire qu'il s'agissait de la maison de tolérance de la garnison, il n'y a qu'un pas à franchir, d'autant que les unités de Tabors, de Tirailleurs nord africains, de légionnaires... avaient pour habitude (lorsque le contexte le permettait) de disposer à demeure d'un "pouf"... Il se pourrait toutefois que ce soit tout simplement l'ancienne maison de jeux tenue par les inévitables Chinois car le lieutenant Jaubert mentionne cette dernière dans ses mémoires...
Quel que puisse être le passé de cette maison aujourd'hui délabrée, dont la façade est constellé d'éclats sans que l'on puisse affirmer avec certitude si ceux ci datent des combats de 1950 ou de 1979, ce bâtiment est aujourd'hui devenu une menuiserie :

 Un vestige du passé...
Photo JLM

Détail de la façade
Photo JLM

Intérieur de la maison 
Photo JLM

Les traces des combats du passé 
Photo JLM

En continuant vers les sorties ouest de Dong Khê on aboutit à un ruisseau le long duquel avait été tracé à l'époque une piste d'aviation susceptible d'accueillir les avions légers type Morane... Le colonel Constant à qui on a maintes fois reproché de ne pas aller sur le terrain s'est néanmoins rendu à Dong Khê par ce biais entre les deux attaques. La zone de l'aérodrome servit aussi de DZ lors de l'opération aéroportée de reconquête de la citadelle le 27 mai 1950 par le 3° BCCP aux ordres du chef de bataillon Decorse. Aujourd'hui il est toutefois impossible de retrouver la trace de la piste car l'ensemble de la zone est recouverte de jardins :

La zone de l'ancien aérodrome
Photo JLM

 Antoine et Bernard en attente d'un passage Morane... à basse altitude
Photo JLM

La vie des unités qui séjournaient à tour de rôle au poste de Dong Khê nous a été relatée par le lieutenant Jaubert dans ses mémoires :
" Dong Khê est une bourgade à une dizaine de kilomètres de la Chine, au carrefour d’une route y conduisant avec la RC4 qui, elle, longe la frontière. Il y a bien une citadelle de l’époque coloniale, moins imposante qu’à Cao Bang, mais bien utile. Nous sommes tout de même dans une cuvette, entourée de calcaires menaçants où il y aura juste assez la place d’installer une petite piste d'atterrissage pour le Morane d’évacuation, des blessés (mais aussi du courrier, car si nous le recevons assez rapidement grâce aux parachutages, le courrier au départ est plus aléatoire...).
Puisqu’il n’y a plus de convois, nécessitant trop de monde pour leur protection, nous nous habituons aux parachutages journaliers de 2 ou 3 avions. Tout ce qui n’est pas fragile (vêtements, rouleaux de barbelés, tabac, sac de riz, etc...) est largué sans parachute au plus près du sol. Tout le reste est parachuté, et il sera même utilisé des parachutes en papier (!). Les moutons pour les fêtes musulmanes seront parachutés vivants, de même que les cochons pour les partisans, ainsi que les canards et les poulets dans des paniers empilés les uns sur les autres. Les parachutes en tissu sont évidemment récupérés, roulés et stockés en attendant un hypothétique convoi (ils brûleront tous lors de l’attaque de Mai 50).
La garnison de Dong Khê est composée de 2 compagnies de tirailleurs marocains, d’une petite compagnie de partisans et de 2 canons de 105. Le tout est aux ordres du Capitaine Casanova, un officier vif, dynamique et attachant que j’apprécie beaucoup. /.../.
La population civile est assez réduite, 200 à 300 personnes, avec une importante communauté chinoise et l’inévitable maison de jeu.
Les journées passent en travaux d’aménagements des défenses et il y a beaucoup à faire. Nous ne recevons que très peu de ciment pour bétonner, aussi nous construisons beaucoup à la chaux et au sable ce qui ne présentera pas la même résistance que le béton aux obus. Mais pour faire de la chaux il faut des pierres de calcaire (il y en a à revendre) et du bois pour faire fonctionner des fours à chaux. Nous récupérons tout le bois disponible sur les maisons des villages des environs abandonnées, et je suis désigné " spécialistes des explosifs " pour abattre et débiter tous les arbres énormes que nous trouvons dans la cuvette." /.../.
Nous avons une popote sympathique pour notre petit groupe d’officiers, où le jeu " apéritif " journalier consiste à vider plusieurs chargeurs de pistolet sur des boîtes de conserve. Nous ferons ainsi beaucoup de progrès en tir instinctif." ( Réf. http://jaubert.chez.com/indchine.htm)

Il est temps à présent d'aller visiter la citadelle afin de voir ce qu'est devenue cette popote et de comprendre comment se sont déroulées les deux attaques de mai et septembre 1950...


NOTA : A la demande de monsieur Cyril Bondroit, éditeur et directeur de collection de la société Indo editions, et pour respecter le droit légitime au copyright, je précise que les photos 1 à 6 du présent billet sont extraites du livre "Les combats de la RC 4, Face au Vietminh et à la Chine, Cao Bang - Lang Son 1947-1950" , Indo Editions, Paris juillet 2004, écrit en collaboration avec le général Georges Longeret et le général Jacques Laurent.

Les photos suivantes, exception faite du cliché Google Earth, sont de moi et sont libres d'utilisation par les lecteurs de ce blog.

Je précise en outre que ce blog qui n'est qu'un journal de route... a pour seul but d'aiguiller les passionnés de la guerre d'Indochine vers la lecture des ouvrages publiés sur ce sujet (notamment chez Indo-Editions 61 rue de Maubeuge, 75009 Paris....) et de faciliter en même temps le déroulement du voyage de ceux qui souhaiteraient se rendre sur place. Rien de plus...



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