Soucieux de visiter les lieux où le jeune lieutenant de Saint-Marc avait servi, et qui avaient marqué si fort sa carrière, Antoine et moi sommes partis lors de notre voyage de 2014, entre deux ondées, pour nous rendre sur le site de Talung (ou Ta Lung)..
L'accès à Talung au départ de Dong Khê n'est pas chose aisée, même si de mémoire il existe une liaison directe par mini-bus plus ou moins incertaine... Nous avons donc fait mouvement sur Cao Bang où nous avons pris dans la foulée dès l'arrivée à la gare routière un mini-bus en partance pour Phuc Hoa puis Talung... Dans la foulée signifiant bien entendu comme partout au Vietnam lorsque le bus est plein...
Talung est une bourgade qui se situe sur la frontière avec la Chine, au centre d'une petite vallée par où passent aujourd'hui quotidiennement un gros trafic de marchandises et des mouvements de frontaliers... Comme toutes les vallées de la zone, celle ci constitue un remarquable axe de pénétration Est - Ouest qui fut traditionnellement emprunté par les Pavillons noirs, le Vietminh mais aussi les troupes chinoises que ce soit en 1949 ou en 1979...
A l'époque de Galliéni, un poste fut élevé au centre de cette vallée afin de surveiller et d'interdire la pénétration des Chinois au Tonkin.
Voici la description du site de Talung telle que l'a faite le colonel Gallieni, lors du séjour qu'il fit entre 1892 et 1896 en Indochine et qu'on peut lire dans l'ouvrage "Gallieni au Tonkin" :
" Le 9 avril, guidés par le lieutenant Mordacq, officier d'une intelligence peu commune, qui chemin faisant me met au courant de la topographie du pays, nous suivons la rive gauche du Song Bang Giang et débouchons dans la plaine de Talung. C'est un tout autre pays et l'on découvre avec plaisir un horizon plus étendu, tel le voyageur qui chemine depuis de longues heures dans une épaisse forêt et rencontre enfin une large clairière. Cette impression est surtout sensible dans cette Haute Région où, derrière chaque rocher, au sommet de chaque piton, on croit voir surgir tout d'un coup le large chapeau conique et le fusil d'un pirate en embuscade. Le Song Bang Giang coule, plus large, moins rapide. Ce qui réjouit l'oeil, c'est la vue de plusieurs sampans chinois venant de Cao Bang et allant à Long Tchéou pour charger des marchandises diverses. Dans la plaine nous remarquons plusieurs villages et quelques rizières et champs de canne à sucre, au milieu desquels un certain nombre de Thôs sont au travail. Le capitaine Vannier nous montre à quelque distance, le poste de douane français de Na-Thong, et, non loin de là, le mamelon qui domine la plaine et sur lequel on a déjà commencé les travaux de notre nouveau poste de Talung. Le campement des tirailleurs et des légionnaires employés à la construction est au pied du mamelon."
Voici la description du site de Talung telle que l'a faite le colonel Gallieni, lors du séjour qu'il fit entre 1892 et 1896 en Indochine et qu'on peut lire dans l'ouvrage "Gallieni au Tonkin" :
" Le 9 avril, guidés par le lieutenant Mordacq, officier d'une intelligence peu commune, qui chemin faisant me met au courant de la topographie du pays, nous suivons la rive gauche du Song Bang Giang et débouchons dans la plaine de Talung. C'est un tout autre pays et l'on découvre avec plaisir un horizon plus étendu, tel le voyageur qui chemine depuis de longues heures dans une épaisse forêt et rencontre enfin une large clairière. Cette impression est surtout sensible dans cette Haute Région où, derrière chaque rocher, au sommet de chaque piton, on croit voir surgir tout d'un coup le large chapeau conique et le fusil d'un pirate en embuscade. Le Song Bang Giang coule, plus large, moins rapide. Ce qui réjouit l'oeil, c'est la vue de plusieurs sampans chinois venant de Cao Bang et allant à Long Tchéou pour charger des marchandises diverses. Dans la plaine nous remarquons plusieurs villages et quelques rizières et champs de canne à sucre, au milieu desquels un certain nombre de Thôs sont au travail. Le capitaine Vannier nous montre à quelque distance, le poste de douane français de Na-Thong, et, non loin de là, le mamelon qui domine la plaine et sur lequel on a déjà commencé les travaux de notre nouveau poste de Talung. Le campement des tirailleurs et des légionnaires employés à la construction est au pied du mamelon."
A l'époque de la conquête coloniale, plus précisément en 1895, voici comme le site se présentait alors :
Débouché du Song Bang Giang en Chine
(Croquis réalisé le 22 / 02 / 1895)
Sur la photo ci-dessous on a une idée de la physionomie du poste dans les années de l'entre deux guerres ; comme on peut le constater le poste avait "de la gueule"
Le poste de Talung dans les années trente
La route qui mène à Talung et qui passe par Phu Hoa, si elle est toujours aussi tortueuse, n'a bien évidemment rien à voir avec celle qu'empruntaient nos anciens...
Sur la coupure de carte au 1/50 000° figurant ci-dessous, on peut voir très aisément l'emplacement du poste de Talung (petit rectangle encadré en dessous des lettres Ta) :
Voici la seule photo que j'ai pu trouver du poste de Talung à l'époque du séjour du lieutenant de Sain-Marc, séjour qui s'est achevé par l'abandon du village en février 1950, événement qui allait marquer à jamais cet officier et qui est extraite de son livre "Mémoires - Les champs de braise" :
Le poste de Talung à l'époque du lieutenant de Saint Marc
A propos de ce séjour du lieutenant de Saint-Marc à Talung, voici quelques extraits de ce que celui-ci écrit dans son livre, sans doute les plus belles pages de ce dernier :
" Au bout de quelques mois, le commandement m'a confié la responsabilité du poste frontière de Talung que l'on voulait réoccuper sur la rive gauche du Song Bang Giang, ce fleuve rouge des pluies d'argile qui relie le Vietnam à la Chine. /.../ .J'ai accepté le poste de Talung sans savoir que ce "oui" allait bouleverser ma vie. /.../. Avant de réoccuper Talung, il nous a fallu huit à dix jours d'opérations pou atteindre la vallée de Phuc Hoa. Nous avancions dans une forêt tropicale, où la lumière du jour était rare. Les camions progressaient par saccades., chaque fois que la route était rétablie. La marche était éprouvante : troncs géants, amas inextricables de végétation, nuages de moustiques, serpents de toutes sortes. Nous mangions, couchions, vivions dans la jungle. Un jour, un peu après midi, dans la lumière aveuglante nous avons aperçu la plaine et les méandres du fleuve. Talung était un hameau de frontière, établi à l'époque de Galliéni. Le poste commandait un secteur de plusieurs dizaines de kilomètres carrés. La plaine du Song Bang Giang était fermée par les montagnes de calcaire, dont les à-pic de jungle, les sentiers taillés dans la pente et les grottes servaient de refuge au Vietminh. Des blockhaus d'angle fermaient le poste dont certaines pièces étaient démolies. Il nous a fallu un mois de travail pour nous installer sous des toits de paillotes et faire revivre Talung. Je me suis lancé dans l'aventure avec l'énergie et la fièvre que j'avais accumulées depuis 1940. /.../. A Talung nous étions libres de nos actes. Seule une liaison régulière traversait les montagnes à partir de Dong Khê. Elle était réduite à un strict minimum de matériel : courrier, munitions et ravitaillement. Pendant dix huit mois, je peux compter sur les doigts d'une seule main les liaisons où l'état-major s'est enquis de notre situation.../.../. La mission qui nous était confiée à Talung évoquait davantage les premiers temps de la colonisation que l'époque de la guerre du Pacifique. Depuis des décennies, les villages n'avaient pas changé, ni le terrain, ni les grandes lignes politiques entre les minorités de part et d'autre de la frontière. Je commençais ma carrière par un grand bond en arrière de cinquante ans. Il restait de mes prédécesseurs quelques tombes rassemblées dans un petit cimetière, construit sur un mamelon qui dominait la Chine toute proche : la plupart étaient morts de maladie ; quelques légionnaires étaient tombés dans des affrontements avec le banditisme, mal endémique de ces régions de trafic. J'ai fait rafraîchir leurs tombes à défaut de profiter de leur expérience. Je me suis lancé dans leurs pas sans même le savoir, éprouvant les mêmes illusions et la même plénitude, rencontrant les mêmes obstacles."
Sur la vue Google Earth figurant ci dessous, on peut voir la position actuelle du poste autrefois occupé par les Français (coordonnées : 22° 29' 28" N - 106° 34' 26" E) par rapport à la frontière avec la Chine :
Sur cette seconde vue Google Earth (orientation inversée, le sud étant en bas) on peut voir le détail du poste dont l'enceinte correspond apparemment à celle de l'époque française ; le mouvement de terrain figurant sur le croquis de 1895 et sur la photo de l'entre deux guerres étant à gauche de la vue :
Voici à présent comment se présente le poste militaire lui même qui comme à l'accoutumé a été bâti sur l'emplacement utilisé par les Français :
Dans ses mémoires Saint-marc évoque l'existence d'un cimetière où étaient inhumés les légionnaires et les partisans qui étaient tombés au combat... Inutile de dire que nous n'avons rien vu qui aurait pu ressembler de près ou de loin à un cimetière... mais il faut dire que la pluie nous a gêné dans nos investigations... Tout ce secteur ayant fait l'objet d'aménagements routiers il y a fort à parier que les vestiges d'époque auront disparu.
NB : Suite à la lecture de mon blog, monsieur Christophe Guyonnaud qui est passionné par l'histoire de l'Indochine et qui a été en contact avec le commandant de Saint-Marc m'a aimablement communiqué les photos ci-dessous prises lors de son voyage sur place et qui nous montrent l'état du cimetière :
@ Christophe Guyonnaud
@ Christophe Guyonnaud
Sur les deux photos suivantes on peut aussi voir les vestiges d'un emplacement de combat bâti à proximité du poste :
@ Christophe Guyonnaud
@ Christophe Guyonnaud
A l'attention de ceux qui souhaitent se rendre sur place je souhaiterais ajouter qu'aujourd'hui, l'ambiance qui règne à Talung n'est pas des plus conviviales comme dans toutes les zones frontières où passent les commerçants et les trafiquants en tous genres... Pour les Vietnamiens Talung est en effet avant tout un poste frontière par lequel transitent les marchandises et les personnes qui se rendent d'un côté ou de l'autre de la frontière pour les achats ou pour le travail...
Pour parvenir à prendre les deux photos ci-dessous il a fallu bien évidemment imposer pratiquement notre présence au garde frontière qui craignant sans doute de nous voir passer chez les "Célestes" comme on disait dans les années cinquante, nous surveillait comme le lait sur le feu... En fait les deux ou trois cents mètres qui séparent la barrière métallique en accordéon du poste frontière lui même sont interdites d'accès aux étrangers sans visa... ce qui n'empêchera pas paradoxalement notre conducteur de bus de nous y amener un peu plus tard pour aller récupérer des voyageurs directement dans le no man's land... Allez donc y comprendre quelque chose... Ce sont là les mystères du Vietnam...
Antoine n'a pas pu résister au plaisir d'en griller une face à la Chine...
Un peu plus humide que le crachin du Tonkin quand même...
Bien évidemment, même si nous nous sommes avancés jusqu'au portail du poste militaire en mettant à profit la pluie qui tombait à verse, il ne nous a pas été possible de visiter les lieux... sauf à prendre le risque d'y passer quelques heures pour "complément d'informations" comme aurait dit l'inspecteur Borniche, voire d'y "dormir" carrément...
Je ne sais si c'est l'effet de la pluie qui rendait particulièrement lugubre le paysage ou si c'est l'impossibilité de retrouver le moindre vestige du passé faute de pouvoir visiter le poste, mais une chose est certaine, Talung ne restera pas l'un de nos meilleurs souvenirs de ce retour sur le terrain...
Même le paysage, pourtant grandiose avec les pitons calcaires était noyé dans la brume, ce paysage à propos duquel Lyautey qui servait sous les ordres de Galleni écrivait :
" On n'a pas idée de formations géologiques aussi biscornues. C'est le chaos absolu. On se demande comment nous ne sommes pas restés tous dans ces coupe-gorge"
Même le paysage, pourtant grandiose avec les pitons calcaires était noyé dans la brume, ce paysage à propos duquel Lyautey qui servait sous les ordres de Galleni écrivait :
" On n'a pas idée de formations géologiques aussi biscornues. C'est le chaos absolu. On se demande comment nous ne sommes pas restés tous dans ces coupe-gorge"
Les calcaires de Talung
En ce qui nous concerne, la pluie ayant redoublé d'intensité et la nuit tombant, il était temps de reprendre, trempés et déçus, le chemin de Cao Bang avec le dernier mini-bus...
J ai apprécié ce récit et merci pour les cliches
RépondreSupprimerMerci pour ce récit passionnant.
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