Hanoi, où une concession française fut ouverte dès 1875 et
qui devint la capitale de l’Indochine française en 1901, est une ville qui
compte aujourd’hui environ 7 millions d’habitants et qui par conséquent a très
largement débordé les limites de l’ancienne cité coloniale... Depuis la fin de
la guerre du Vietnam, le développement de l’agglomération a malheureusement
entraîné la destruction de nombreux vestiges de l’époque coloniale en raison de
la forte pression immobilière. Pour le visiteur attentif et passionné, il est toutefois
encore possible aujourd’hui de retrouver un certain nombre de monuments ou
d’édifices, voire d’inscriptions, témoignant de la présence française en
Extrême Orient, plus de soixante après notre départ en 1954.
Avant d'entreprendre une visite détaillée de la ville faisons en un rapide tour d'horizon...
Plus
d’un demi-siècle de présence française…
Pour celui
qui veut aller à la découverte du Hanoi de Lucien Baudard ou de Jean Larteguy,
le premier point important à conserver en mémoire est le fait qu’à l’époque des
Français la ville s’articulait en trois quartiers bien distincts :
- L’ancien
« Quartier français », au sud de l'agglomération annamite, créé
autour de la « Concession française » et du « Petit Lac » puis
progressivement étendu jusqu'à la gare ;
- Le
quartier de la « Citadelle », situé à l'ouest de la ville, qui à
l'époque était principalement composé de casernements militaires, jouxté par le
nouveau quartier résidentiel européen qui s'élevait à proximité du Palais
du gouverneur général et du Jardin botanique ;
- Entre les
deux on trouvait la « Cité indigène », autrefois faubourg commerçant
de la ville officielle annamite, située au nord du Petit Lac, zone aujourd'hui
bien connue des touristes et des routards, qui s’ouvre sur le Fleuve Rouge par
l’ancienne porte Jean Dupuis à proximité de l’ex pont Doumer.
Afin de
bien repérer les vestiges du passé français dans une ville en proie à de
profonds changements, le mieux est de se référer à l’un des nombreux plans
d’époque existant, comme par exemple celui tiré du guide Madrolle[1] 1932
qui a longtemps fait autorité dans toute l’Indochine française.
Un autre plan, plus détaillé mais de 1925, permettra de localiser plus facilement les rues de l'époque :
Le
secteur au sud du Petit lac :
Pour
retrouver le cœur de l'ancien quartier français de Hanoi, il faut commencer la
visite par les secteurs situés de part et d’autre du Petit Lac des Français,
devenu aujourd’hui lac Hoan Kiem.
è A l’Est du Petit Lac on trouve en
bordure du Fleuve Rouge ce qui était autrefois l’ancienne « Rue de la
concession », c'est-à-dire une zone marécageuse où en 1874 la France obtint
une concession de terrains pour l'installation de son consul et de
l'escorte de celui-ci, ce secteur de Hanoi étant jusqu'en 1883, le seul lieu de
résidence autorisé des Européens sur le Fleuve Rouge. On y trouvait alors notamment
l'Hôtel du directeur général des Douanes et
les services de la direction des Douanes et Régies du Tonkin, l'ancien Consulat
dont les bâtiments furent agrandis pour servir de demeure aux Résidents et
Gouverneurs généraux, l'Hôtel du Général en Chef, le service géographique et les
services de l’Etat-major du corps de l'Indochine ainsi qu’un château d'eau,
élevé sur l'ancien cimetière de la Concession aujourd’hui disparu.
A
l'extrémité sud de la « Rue de la Concession », s’élevait l'Hôpital
militaire, construit en 1892-93 sous le gouverneur général de Lanessan, mais
qui ne prendra le nom d’hôpital Lanessan qu’en 1928. Cet hôpital, toujours en
service, qui pouvait contenir initialement 450 malades mais dont la capacité
fut étendue à 1500 lits pour faire face aux besoins du corps expéditionnaire
pendant la guerre d’Indochine, voisinait avec la Faculté de médecine et l’Institut
Pasteur qui fut malheureusement saccagé lors de l’insurrection du 19 décembre
1946.
A
l’extrémité nord de la « Rue de la concession » fut par la suite
édifié un opéra bâti sur le modèle de l’opéra Garnier, devenu aujourd’hui
Théâtre National, la plus vaste salle de concert « à l’Est de Suëz »
comme on disait autrefois… et qui faisait de Hanoi un « petit Paris
d’Extrême Orient ». C’est de là que partait en direction du Petit Lac, la rue
Paul Bert, l’artère la plus célèbre de la ville européenne avec ses commerces,
ses cinémas et ses bars aux nombreuses arcades, passage obligé des élégantes de
l’époque, des broussards venant en ville
et des permissionnaires à la recherche des taxi-girls chinoises... Cette partie
Est de la ville fut sans doute au XX° siècle la mieux mise en valeur car c’est
là que furent édifiés outre différents établissement d’enseignement, la mairie
de Hanoi et la poste, l’hôtel Métropole devenu aujourd’hui un palace
international renommé, le cercle de Hanoi ainsi que le palais du Résident
général au Tonkin transformé aujourd’hui en maison des hôtes de la République
du Vietnam.
è Sur la rive ouest du Petit Lac
s’élevait enfin le quartier de la cathédrale Saint-Joseph prolongé par les
bâtiments du Séminaire et la Résidence du nonce apostolique, ainsi que de
nombreux autres bâtiments administratifs parmi lesquels on peut citer notamment
le Commissariat de police, la Gare de Hanoi, la Chambre de commerce ou la Bibliothèque
municipale, sans oublier bien entendu l’Ecole française d’Extrême Orient (EFEO)…
voire l’ancienne « Maison centrale » devenue pour les Vietnamiens la
prison Hoa Lo où trône encore une guillotine et pour les Américains de la
guerre du Vietnam le célèbre « Hanoi
Hilton » où furent enfermés les aviateurs abattus pendant les raids
aériens sur le Nord-Vietnam…
L’ancienne
ville indigène et les rives du Fleuve Rouge :
La zone située
au nord du Petit Lac, aussi appelée « Quartiers des 36 guildes » en raison
de la présence de nombreux corps de métiers regroupés comme dans la France du
Moyen Age dans certaines rues, est aujourd’hui bien connue des touristes et des
routards en raison de ses innombrables « guest houses » et hôtels. En
dehors de quelques bâtiments édifiés par les Français, comme le marché couvert,
ce quartier était surtout un enchevêtrement de maisons indigènes accolées les
unes aux autres et séparées par des rues au nom évocateur comme la « Rue
de la soie », la « Rue du coton », la « Rue des cuirs »,
la « Rue du chanvre »… C’est d’ailleurs là qu’éclata le 19 décembre
1946 l’insurrection déclenchée par le Vietminh qui transforma ce « Quartier
des 36 guildes » en un camp retranché, que nos troupes durent difficilement
reconquérir maison par maison.
En suivant le
tracé de la voie ferrée bâtie par les Français qui sépare l’ancienne ville
indigène de la citadelle, on arrive alors au pont Doumer. Initialement appelé du nom du gouverneur
général de l'Indochine, Paul
Doumer, grand promoteur des transports
ferroviaires, puis rebaptisé « pont du fleuve Cai » par les
Vietnamiens, ce fut en fait le maire de Hanoi qui lui donna son nom définitif
de pont Long Biên sous le régime pro-japonais, Long
Biên étant
le nom d'un quartier périphérique de Hanoi sur la rive gauche du Fleuve
Rouge... Ce pont permettait au chemin de fer de franchir le Fleuve
Rouge et de
poursuivre par la rive gauche en
direction de Lào-Cai puis du Yunnan en Chine. Signalons au passage à l’usage des curieux, côté
rive droite du fleuve et juste à l'entrée du pont, l’existence d’une petite
gare accessible par une rampe très caractéristique de « l'architecture
III° République »…
Le pont
Long Biên, pour un montant de 10,5 million de francs de l'époque par
l'entreprise Daydé et Pillé, société absorbée depuis par le groupe Eiffel, fut achevé le 28 février 1902 au terme de
trois années et demi de travaux comme l’attestent les plaques encore visibles à
l’entrée du pont. Mis en service en 1903 et
initialement accessible uniquement aux vélos, aux trains et aux piétons, ce
pont qui vit arriver la colonne Leclerc en mars 1946 puis le départ des
derniers soldats du corps expéditionnaire en octobre 1954, a su résister aux
bombardements américains et est encore utilisé par les deux roues et les
trains.
La Citadelle de Hanoi et les quartiers nord de la ville.
Au-delà de l’ancienne ville indigène on trouve la Citadelle
de Hanoi qui fut construite en 1805 sous le règne de l’empereur Gia Long,
suivant un modèle dit « à la Vauban » dessiné par des officiers français.
S’étendant initialement sur une superficie de seulement 1 km², car le fait que
la capitale royale soit implantée à Hué interdisait de bâtir une citadelle
plus vaste, elle était autrefois entourée de remparts de 5 mètres de haut dominant
des fossés remplis d’eau et comportait huit portes. Lors des opérations
militaires liées à la conquête française, à deux reprises nos troupes durent
donner l’assaut à la Citadelle de Hanoi : une première fois en novembre 1873
avec Francis Garnier puis une seconde en avril 1882 avec Henri Rivière, qui à
une décennie d’intervalle tombèrent tous deux peu de temps après leur victoire
à quelques kilomètres de là, près du Pont de Papier, en luttant contre les
Pavillons Noirs... Les marques de ce dernier assaut de 1882 encore visibles sur
la porte Nord et une plaque commémoratrice curieusement conservée, attestent plus
d’un siècle après de ce fait d’armes…
Après la conquête, à partir de 1894 les Français
procédèrent au comblement des fossés et à la destruction d’une partie de l’enceinte
puis édifièrent dans l’emprise différents baraquements militaires et un hôpital,
dont l’année de construction figure encore sur les frontons.
Pour
découvrir cette citadelle, il convient de distinguer globalement trois secteurs
:
- le
secteur Est, autrefois occupé par les unités du 9° Régiment d'Infanterie
coloniale (9° RIC), du 4° Régiment d'artillerie coloniale (4 ° RAC) et du 1er
Régiment de Tirailleurs tonkinois (1er RTT) qui fut au cœur de l’assaut
japonais lors du coup de force du 9 mars 1945 avant de servir à
l’enfermement des otages français ; cette zone où les bâtiments d’époque ont
été en partie détruits pour laisser place à des bâtiments plus fonctionnels est
aujourd'hui une emprise militaire vietnamienne inaccessible à la visite ;
- le secteur
Sud-ouest, qui était autrefois la zone de la caserne Balny d'Avricourt où était
implanté le service des Transmissions des Troupes françaises du Tonkin, est
occupé aujourd'hui par le musée de l'armée vietnamienne où à côté de la Tour du
drapeau sont exposés de nombreux vestiges de la « guerre
d’indépendance » et de la seconde guerre du Vietnam ;
- le
secteur Nord-ouest, au nord de l'ancien Stade Mangin, qui était autrefois la
zone de la Caserne Lizé où était implantée la Direction de l'Artillerie et celle
des Services de l'Intendance, abrite aujourd’hui dans des bâtiments
magnifiquement restaurés un remarquable musée archéologique retraçant le passé
de la citadelle de l’époque impériale.
Si l’on poursuit cette visite de la partie ouest du Hanoi
colonial, on traverse alors de vastes espaces boisés et aérés qui étaient
autrefois un quartier résidentiel doté d’un hippodrome, aux larges avenues
ombragées, abritant de magnifiques maisons coloniales devenues aujourd’hui des
ambassades ou des résidences de hautes autorités vietnamiennes. Cette rapide
visite serait toutefois incomplète si l’on n’évoquait pas dans ce secteur la
présence de l’ancien palais du gouverneur de l’Indochine française bâti entre
1900 et 1906, devenu après 1954 palais présidentiel et dont le parc est ouvert
à la visite, ainsi que du célèbre Lycée Albert-Sarraut qui après avoir formé
une partie de l’élite vietnamienne a été transformé en siège du parti
communiste vietnamien.
Pour celui qui revient en direction de l’ancien quartier
européen en longeant la rive du Fleuve Rouge, cette visite s’achève par la
visite de l’Eglise des Bienheureux, dont les vitraux et de nombreuses plaques gravées
en français perpétuent la mémoire des missionnaires tombés en martyrs pour
évangéliser les populations, et un coup d’œil au château d’eau qui assurait
l’approvisionnement de la ville à la fin du XIX° siècle.
Pour conclure, signalons qu’une des difficultés que rencontre
le visiteur à la recherche du passé colonial de Hanoi réside dans le fait qu’un
certain nombre d’institutions comme notamment l’EFEO ou la chambre de commerce
ont changé d’emplacement au fil du temps afin de suivre du fait de la
croissance démographique, l’évolution de l’activité économique et culturelle.
Si l’on ajoute à cela les changements de noms de rues et le fait que de nouveaux
bâtiments d’habitation ont été édifiés dans les anciens jardins des belles
résidences coloniales d’autrefois, il est parfois difficile de s’y retrouver
d’autant que la physionomie de la ville change très rapidement d’une année sur
l’autre… Mais avec un minimum de préparation et quelques lectures soigneusement
choisies avant le voyage, Hanoi s’avère être une destination passionnante et
toujours pleine de surprises pour celui qui sait prendre le temps de partir au
fil des rues à la découverte du passé…
Pour s’y
retrouver signalons enfin quelques sites utiles à consulter avant
d’entreprendre le voyage :
A lire
impérativement : « Le Tonkin français contemporain » du docteur
Edmond Courtois, 1891, réédité aux Editions Lavauzelle.
[1]
Claudius
Madrolle, né en 1870 et à qui nous devons ce plan, était un fonctionnaire
colonial et un grand voyageur qui a lancé en 1904 la publication d'une série de
guides sur l'Extrême Orient. Pour ceux qui souhaitent se documenter davantage
sur ce sujet, ils peuvent se rendre sur le site suivant : http://www.livre-rare-book.com où
l'on peut trouver les différents ouvrages de cette collection.
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