vendredi 9 mai 2014

La RC 4 entre le col de Loung Phaï et Dong Khê

          Après le franchissement du col de Loung Phaï débute sur une dizaine de kilomètres la descente en direction de Dong Khê...


Afin de faciliter la localisation des différents points côtés je publie une carte de la zone :

Carte des combats des 1er et 2 octobre 1950
© Indo Editions - "Les combats de la RC4"


Pour les anciens ce tronçon de route, tout aussi dangereux que celui des barrières calcaires de la montée était surtout celui du passage dans le défile de la 73/2, du nom de l'unité qui avait remis en état la route lors de l'offensive Beaufre de 1947 (opération Léa).
Après le franchissement du défilé de la 73/2 c'est enfin la plaine de Napa dominée à l'Est par les massif du Na Nagaum et Na Kheo puis l'arrivée sur Dong Khê.


En débutant la descente vers Dong Khê, immédiatement après la maison où nous avons fait notre photo souvenir avec un drapeau français, on trouve sur la droite une nouvelle stèle édifiée par les Vietnamiens à leurs morts :

 Stèle vietnamienne au sommet du col de Loung Phaï (versant nord)


La côte 703 qui domine le col de Loung Phaï et sur laquelle est monté Antoine au terme de multiples péripéties et de pas mal d'efforts, se situe immédiatement à l'Est du col :

 La côte 703 et la RC 4 en contrebas à gauche


La maison où nous avons fait notre photo souvenir est celle de la photo ci-dessous :

 Vue sur le col depuis le sommet de la côte 703



Le début de la descente en direction de Dong Khê


 La série des 11 mamelons qui se succèdent depuis le pont Bascou
(Photo prise par Antoine Baudot depuis 703)


La côte 703 est un piton très étroit situé qui domine le col de Loung Phaï et  sur  lequel on trouve encore de nombreux emplacements de combat. On peut y accéder soit en gravissant la pente au niveau du col, soit en empruntant comme le firent différentes unités la ligne de crête partant au niveau de la ferme du pont Bascou.
La  montée  sur 703 à partir  du  col  de Loung Phaï est  courte  mais  très  raide. Une  végétation  dense  rend  la  progression  difficile. A mi-pente, selon Claude Leonardi qui a parcouru l'ensemble de la zone,  subsisteraient les vestiges d'un ancien poste japonais (entre le col et 703).
Contrairement à ce que certains peuvent penser, les emplacements de combat qu'on trouve sur 703 ne dâtent pas des années cinquante mais de la guerre sino-vietnamienne de 1979. L'extraordinaire netteté de certains des trous qui ont été creusés n'est en effet pas compatible avec le ruissellement des eaux en saison des pluies, même s'il est probable que l'armée populaire de la fin des années 70 ait utilisé les mêmes emplacements pour s'enterrer que les anciens des années 49-50...

Le 1er octobre 1950, lors de la montée de la colonne Charton en direction du nord,  les environs de la côte 703 furent occupée dans un premier temps par le 1er Tabor, puis après relève par 2 goums du 11° Tabor :  le 8° au sommet et le 5° au col de Loung Phaï. Violemment  attaqué par les bataillons 18 et 23 du TD 102 et 88, dans la nuit du 3 octobre, le 5° goum se repliera sur 703, perdant ainsi le contrôle de la seule porte de sortie vers le sud...
Le 6 octobre, le groupement ROSE du capitaine Labaume avec la 7ème et la 8ème compagnie du II/3ème R.E.I occuperont  à son tour ces  positions  afin  d’assurer  le  recueil  des  rescapés  des  2 colonnes. Plus de 600 d'entre-eux seront ainsi récupérés puis escortés sur That Khê le 8 octobre en fin d’après-midi.


La côte 703 vue du nord et le début de la descente vers Dong Khê 


La photo ci-dessous montre le haut de la vallée qui aboutit au col de Loung Phaï.
C'est par cette vallée que le 19 mai 1950, à la suite de la première attaque vietminh, tentèrent de s'esquiver en direction du sud et de That Khê les éléments survivants de la citadelle de Dong Khe, conduits par le capitaine Brun qui avait pris le commandement du détachement à la mort du capitaine Casanova. 

La vallée vers le col de Loung Phaï et la côte 703 
(Photo prise en direction du sud)


La photo ci-dessous a été prise au niveau de l'embranchement de la RC 4 et d'une petite piste carrossable qui remonte en direction de l'Ouest, environ 2 km au nord du col. Passant au pied de la côte 608 sur laquelle étaient venus s'installer en recueil les hommes du 3° BCCP du capitaine Cazaux, cette piste descend ensuite sur le hameau de Cok Ton et permet de rejoindre la vallée de Quang Liet.

Le débouché de la piste menant vers Cok la côte 608 et le hameau de Coc Ton
(Photo prise en direction du nord)


Après cette petite plaine la RC 4 s'enfonce à nouveau dans une zone propice aux embuscades et qui était redoutée par tous ceux qui participaient aux convois de ravitaillement car la route est dominée à l'Est par une succession de pitons sur lesquels le Vietminh s'installait en toute impunité.

Voici ce qu'écrit le sous-lieutenant Stien sur ce sujet, alors que captif il parcourt la région avec ses camarades du camp n° 1 :
"Après la descente du col, notre colonne de tù binh traverse maintenant le sinistre défilé de la 73/2, ainsi appelé du nom de l'unité du Génie qui a percé la route dans ce relief d'enfer. La 73/2 était dans les années 1947-1950, le lieu privilégié d'embuscades contre les ouvertures de route. La RC 4 y est dominée de part et d'autre par des murailles calcaires. Un ravineau à gauche, un léger plat broussailleux à droite permettent aux assaillants un camouflage parfait. C'était alors une embuscade courte et violente, un assaut immédiat avec achèvement des blessés. Les légionnaires du 3° Etranger appelaient la RC 4 la "Route sanglante", mais la 73/2 était le "Boulevard de la mort". En escorte de convoi, on ne respirait vraiment qu'après avoir passé ce défilé opressant. Le colonel Charton qui chemine à mes côtés, évoque avec tristesse tous les légionnaires tombés dans ce lieu :
- Vous savez, Stien, si l'on pouvait entendre les cris de tous ceux qui sont tombés ici, il faudrait se boucher les oreilles pour avancer !"

En dépit des années qui se sont écoulées depuis lors, cette portion de route est encore aujourd'hui en travaux car le passage entre la rivière et la montagne est vraiment très étroit. La 73 compagnie du 2° Rgiment du Génie dut d'ailleurs en 1948 réouvrir le passage à coup d'explosifs... Aujourd'hui encore ce passage fait l'objet de travaux d'entretiens de la part des TP vietnamiens.

L'entrée dans le sinistre défilé de la 73/2 


 La pousuite des travaux de la 73/2... par les TP vietnamiens


Une zone naturellement propice aux embuscades 


La sortie du défilé de la 73/2 


En sortant du défilé de la 73/2 on aboutit enfin dans la plaine de Napa. Cette portion de terrain est intéressante à divers titres...
Initialement c'est dans ce secteur que le 1er BEP aurait dû être largué pour tenter de reprendre la citadelle de Dong Khê après sa seconde chute (16 septembre 1950) mais ce fut en fin de compte sur That Khê (DZ Est de la citadelle) qu'eut lieu l'opération aéroportée. Si ce changement n'avait pas eu lieu il est probable que le BEP aurait eu de nombreuses pertes car les unités viets qui s'étaient installées sur les hauteurs Est de l'étroite plaine n'auraient pas manqué de prendre à partie les parachutistes.
Comme l'a d'ailleurs écrit le sous-lieutenant Stien : " Sur les pentes du Na Kheo, la 1ère compagnie signale de multiples emplacements d'armes automatiques, vides. Leur camouflage de feuillage est fané, ils ont été installés il y a une quinzaine de jours, pour l'attaque de Dong Khê; si nous avions été parachutés là, nous aurions été hachés par la mitraille avant d'atteindre le sol".


Le début de la plaine de Na Pa
(photo prise en direction du col) 


Mais l'évênement le plus tragique survenu sur ce tronçon de route a sans doute été l'accrochage du 3 octobre 1950 car il sera lourd de conséquences pour la colonne Lepage...
A la suite des combats du Na Khêo (1 au 3 octobre), alors que le lieutenant-colonel Lepage avait décidé de faire acheminer les blessés sur That Khê, le vietminh organisa une sanglante embuscade contre la colonne des porteurs qui remontaient avec leurs brancards en direction du col de Loung Phaï.
Le sous-lieutenant Stien qui faisait partie de l'escorte de ce convoi décrit ainsi cet affrontement dans son livre Les soldats oubliés :
" Tout se passe d’abord bien, les premiers groupes ont déjà traversé le sinistre défilé et grimpent vers le col de Lung Phaï. Puis c’est la fusillade, la cohue, la déroute. Les nord-africains refluent en désordre, larguant les blessés, bousculant les unités qui attendent. Les mulets abandonnés ruent et braient. Le vrai bordel.
Je rejoins le Commandant Segrétain qui a auprès de lui les Capitaine Garrigues et de Saint Etienne. On évalue la densité du feu. Le bruit est important mais le tir en réalité est assez faible. Je distingue le tir nourri d’une mitrailleuse et un tir espacé d’infanterie, mais l’écho de ce cirque calcaire en fait un grondement impressionnant. Je connais bien la 73/2 que les légionnaires du III / 3REI appelaient le boulevard de la mort. Des embuscades limitées mais meurtrières y attendaient fréquemment les ouvertures de route en 48 et 49, à l’époque des convois. Le terrain est tel qu’il n’y a pas de champ de tir, et qu’il ne peut y avoir qu’un nombre restreint d’adversaires. Que le détachement disparate et démoralisé engagé s’y soit débandé n’est pas la preuve d’une embuscade puissante. Mais la cohue, et le désordre mis par les éléments affolés qui refluent empêchent toute action organisée pour tenter le passage en force. Delcros et Jeanpierre ont disparu."


Lors de la commémoration du cinquantième anniversaire des combats de la RC 4 , Roger Barbaud du 5° GOUM du 11° Tabor, a relaté lui aussi les conditions de cette embuscade :
" Le soir du 3 octobre nos chefs décidèrent d’évacuer les blessés par la R.C. 4 en direction du col de Lung-Phaï. Deux sections protégeaient le convoi de soixante à quatre-vingt blessés sur brancards. Le convoi s’engage à la nuit tombée sur la R.C. 4. Après trente minutes de marche un feu d’enfer se déclenche devant la colonne et la prend en enfilade ; les blessés sont lâchés par les porteurs qui se replient en laissant les brancards au milieu de la R.C. 4. Les viêts sont venus, j’en ai vu achever des blessés sur les brancards. J’ai eu la chance de ne pas dormir. Aux premières rafales je me suis glissé hors de mon brancard et avec ma jambe cassée j’ai roulé hors de la route pour me retrouver dans la rizière. J'ai eu beaucoup de chance car à l'instant même passait le major Pauvrot (tué quelques instants après) pataugeant dans la rizière. Il me mit sur le dos et me ramena à notre point de départ. J'ignore le nombre de blessés achevés mais nous restions très peu de brancards à notre point de ralliement." 

L'impossibilité d'évacuer les blessés en direction de That Khê et la perte de contrôle du col de Loung Phaï alourdira la colonne Lepage et l'obligera à s'enfoncer vers l'Ouest en direction des barrières rocheuses dominant la vallée de Quang Liet et que l'on aperçoit en fond de décor sur la gauche de la photo ci-dessous :

 L'emplacement possible des éléments d'arrêt vietminh lors de l'embuscade du 3 octobre soir


L'axe par lequel remontait la colonne des blessés 
(Photo prise vers le nord, en tournant le dos au col de Loung Phaï)


Sur les photographies ci-dessous on peut voir une vue panoramique des abords ouest de la plaine de Na Pa et de la direction dans laquelle se sont esquivés les éléments rescapés de cette embuscade dont les hommes du 1er BEP.








Une fois arrivé aux abords nord de la plaine de Napa, on découvre le massif du Na Khêo qui fera l'objet du prochain article et qui a été le cadre de très violents combats...

Le Nakeo et dans son prolongement nord la côte 615



jeudi 8 mai 2014

La montée du col de Loung Phaï

          Celui qui veut découvrir la RC 4 se doit impérativement de franchir à pied le tronçon qui sépare That Khê de Dong Khê... Qu'importe que le bitume ait remplacé la piste empierrée et que la végétation ne soit plus aussi dense, le décor des calcaires avoisinants est resté le même...



 La nécropole vietnamienne située à proximité du pont Bascou


La pause pour Antoine et moi avant l'ascension 


La source du col de Loung Phaï à environ 8 Km du sommet


Pour Antoine c'est parti à grandes enjambées pour 8 kilomètres de montée... 


Une stèle de plus, attestant des sacrifices... côté viet...


La montée de Loung Phaï 
(photo prise en direction de That khê) 


Un cadre grandiose et tragique...


Les deux tiers restent à franchir... 

Difficile de ne pas se remémorer en parcourant ces 25 kilomètres ces lignes écrites par le sous-lieutenant Stien (" Les soldats oubliés ") lorsqu'il évoque cette même montée effectuée avec les autres prisonniers du camp n° 1 lors d'un changement de site :

" Nous remontons la RC 4 et nous grimpons vers le col de Loung Phaï. Je me retrouve encore en terrain bien connu, je reconnais l'emplacement de la grande embuscade du 25 avril 1949. tout compte fait, un bon souvenir. A gauche de la route, des collines à végétation dense, à droite un profond ravin, puis une muraille de calcaire broussailleuse dominant le terrain, base de feux idéale avec ses multiples grottes, à 300 ou 400 mètres de la route. Ce jour là, Giap en personne commandait la plus vaste embuscade jamais dressée contre un convoi sur la Rc 4. 3.000 hommes a t-on su après, une centaine de mitrailleuses, plus un canon de 75 chargé de démolir ou au moins de neutraliser le poste du col. De la colline où je m'étais posté après l'ouverture de route, j'ai vu à 300 mètres des Viets déferler sur la première rame de camions après l'ouverture d'un feu écrsant venant des calcaires. Dévalant sur la route j'ai pu stopper le reste des 100 véhicules qui allaient s'engouffrer dans la nasse. Puis il a fallu empêcher les assaillants de remonter par la RC 4 et par les hauts vers les 80 camions arrêtés. Tout un après midi de mitraille, de coups de mortiers et de lance grenades, avec les spitfire venus à la rescousse fort à propos. Heureusement pour nous, les Viets manoeuvraient mal. Ils étaient encore incapables de réagir efficacement à l'imprévu. Je reconnais le petit ponceau et son parapet, derrière lequel j'ai bien des fois plongé, canardé pr une  12,7 postée dans les calcaires. la salope me suivait dans mes moindres déplacements, mais les Viets avaient encore des progrès à faire."

La zone des grandes embuscades des années 49 - 50... 



 Une remarquable base de feu dominant la RC 4 sur plusieurs kilomètres...


Des positions de tir proches de la route pour les éléments de destruction 


Une barrière calcaire creusée de multiples anfractuosités et grottes


Sur la photo ci-dessous on voit la succession de mouvements de terrain qui s'élevent depuis le pont Bascou jusqu'à la côte 703, onze au total, aujourd'hui recouverts d'herbe à éléphant très coupante... Sur ces pentes, à l'époque recouvertes d'une végétation beaucoup plus dense et qui descendait jusqu'à la route, se dissimulaient les éléments d'assaut qui après la levée des tirs d'appui venu des calcaires situés à l'Est de la route, se ruaient sur les véhicules immobilisés pour les piller et achever les blessés.
En contrebas de la route, du côté Est, le ravin devenait mois après mois un cimetière de carcasses de véhicules calcinés, d'abord poussés par les blindés pour dégager la route, puis ensuite savamment désossés par les Viets pour récupérer tout ce ce qui était encore récupérable... Il est probable que vu la configuration des lieux, ces épaves de chassis de GMC, d'auto-mitrailleuses et d'half-tracks doivent encore se trouver enfouies sous la végétation mais nous n'y sommes pas descendus... D'après notre ami Lam, il n'y aurait plus rien aujourd'hui dans ce ravin, ce qui m'étonne un peu... Si avant 1950 le Vietminh exploitait toutes les sources disponibles de métal pour en faire des armes et des munitions, à commencer par la récupération de l'acier des voies ferrées, par la suite l'aide chinoise et soviétique rendait inutile ce type de démarche. Récupérer des rails, des étuis de fusil... sont une chose, découper un half-track en pièces détachées en est une autre... surtout quand l'armement et les munitions arrivent sans souci en camion Molotova grâce aux "grands frères"... Il y a là donc un secteur que j'aimerais bien aller explorer... d'autant que le lieutenant de Pirey raconte avoir vu ces carcasses à la mi 1950 en traversant le ravin pour contre attaquer les positions vietminh installées au niveau du col... 

La zone de stationnement des éléments d'assaut...


Ainsi qu'on peut le voir sur la photo ci-dessous, la couverture végétale était beaucoup plus importante autrefois ce qui facilitait la mise en place des éléments chargés de donner l'assaut. Certaines fois ceux ci n'étaient qu'à quelques mètres seulement de la route et restaient dissimulés sans bouger pendant des jours, en dépit des reconnaissances aériennes et des tirs a priori pratiqués lors des ouvertues de route...

Le col de Loung Phaï dans les années 49 - 50 


 Le schéma d'une embuscade vue du côté vietminh (3 sept. 1949)
(col de Loung Phai en haut du schéma)
© Indo Editions - "Les combats de la RC4"


 Le schéma d'une embuscade vue du côté français
(col de Loung Phaï en bas du schéma)
© Indo Editions - "Les combats de la RC4"


Vue imprenable sur la montée de Loung Phaï 
(Photo Antoine Baudot)


Le poste du col de Loung Phaï qui se situait à quelques dizaines de mètres de la route était tenu par une section... Le lieutenant Jaubert du 8° Régiment de Tirailleurs marocains évoque dans ses mémoires la vie qu'il menait dans ce poste en novembre 1949, sans doute à peu près à l'endroit où a été prise la photo ci dessus : 

" Ma compagnie, avec la 3ème compagnie part pour DONG KHE, relever la légion. Pour ma part je suis "gâté" une fois de plus, et désigné pour aller occuper avec ma section, le petit poste du col de LOUNG PHAÏ entre DONG KHE et THAT KHE, dans un endroit de sinistre mémoire.
Je vais m'installer avec mes fidèles tirailleurs dans un petit poste en rondins, dont les défenses extérieures sont des bambous pointus enfouis dans le sol. J'ai un mois de vivre, un poste radio (qui tombera en panne le lendemain de notre arrivée) et un mortier de 81. Je suis dans un décor certainement très beau mais sinistre et impressionnant pour y faire la guerre. J'ai de l'autre côté de la route d'immenses falaises, et je suis entouré de forêts épaisses, pleines de singes qui, la nuit, viennent dans les cuisines (installées à l'extérieur du poste) pour voler tout ce qu'ils peuvent en se chamaillant.
Je suis donc seul, sans radio et sans aucune possibilité de liaison. Comme il faut au moins trois bataillons pour ouvrir et tenir les 15 km de route pour venir jusqu'à moi, ce n'est pas demain la veille que je verrai des troupes amies. Si les viets veulent m'attaquer, avec leurs méthodes habituelles, mon poste tiendra au maximum un demie heure et puis nous disparaîtront en fumée... Ce n'est pas très enthousiasmant, mais nous ne sommes pas ici pour pleurnicher sur notre sort. Il faut faire avec ce que nous avons, et faire au mieux en vivant en circuit fermé. Patrouille dans les environs, travaux d'amélioration des défenses du poste (je m'inspire de mes souvenirs du livre de Jules César "De bello Gallico" et des dessins qu'il contient sur les défenses gauloises à ALESIA...). Nous allons aussi visiter et amadouer un minuscule village MAN où je soignerai les goitres, très fréquents dans cette région en leur faisant boire de l'eau additionnée de teinture d'iode. Ils s'y habitueront vite et viendront au poste tous les matins chercher leur boisson favorite.
Une nuit, un de mes sous-officiers marocains vient me prévenir qu'un tirailleur est en train de mourir (!). Je vais voir. Ses copains l'ont déjà allongé sur le côté, vers la Mecque et récitent des prières. Effectivement, il n'a pas l'air en très bon état. Sans radio, pour avoir les conseils d'un toubib, il faut que je me débrouille, ou que je me prépare à l'enterrer...
J’ai une caisse de médicaments, qui m’a été donnée pour mon installation ici. Je l’ouvre et horreur ! ce sont des médicaments de l’armée japonaise sans aucune traduction... Je repère des ampoules avec un liquide vert, je pense que ce doit être de l’huile camphrée excellente pour le cœur, du moins je le suppose. Je remplis une seringue, un bon coup dans les fesses et je vais me recoucher tandis que les tirailleurs continuent de prier pour leur copain.

Le lendemain, à mon grand étonnement, tous les tirailleurs arborent un grand sourire, et je vois mon mourant frais comme un gardon... Je n’ai jamais su ce qu’il a exactement eu, mais je suis devenu un grand chef...
Enfin, un jour, le 5 novembre cela fait près d’un mois et demi que je suis ici complètement isolé, avec des vivres qui commencent à se raréfier, quand je dénote une certaine activité aérienne inhabituelle. J’aperçois, aux jumelles, venant de THAT KHE, les colonnes d’infanterie qui abordent la longue montée vers le col de LUNG PHAÏ. Au milieu des colonnes à pied, quelques blindés et des GMC bricolés, sur lesquels ont été montés des canons automatiques antiaérien BOFORS de 40 mm, qui lâchent des rafales d’obus " a priori " sur les falaises. Rien n’y fait, car les viets sont là, leurs armes, mitrailleuses et mortiers se dévoilent et tout est bloqué.
Le terrain est vraiment difficile. La route est au flanc d’un long mouvement de terrain de 4 à 5 km sur lequel tout en haut, à l’extrémité est mon poste. Sous la route, le ravin est très profond avec une végétation extrêmement dense. C’est dans ce ravin que se cachaient les vagues d’assaut viets pour attaquer à la grenade et au coupe-coupe les convois bloqués. De l’autre côté du ravin s’élèvent les falaises impressionnantes où sont retranchés les viets.
Donc, en bas, chacun a le nez dans la poussière, et moi qui suis " au balcon " je ne peux rien faire sans radio et avec un mortier hors de portée des falaises.
Un MORANE d’observation, particulièrement courageux ou inconscient, remonte le long de la vallée à l’altitude de mon poste et... des falaises. Il n’atteindra pas le col. Tiré comme un lapin, je le vois balancer ses ailes à droite puis à gauche et tomber comme une pierre au fond du ravin.
Les viets hurlent de joie. Pas pour longtemps. Dans les unités qui montent vers le col, il y a tout un Thabor de Goumiers marocains. Un certain nombre d’entre eux avec l’Adjudant-Chef L... vont attaquer à leur manière en s’infiltrant dans la falaise et en grimpant de façon acrobatique. Arrivés sur la crête, c’est la ruée sur les viets ahuris et un joyeux massacre, comme les allemands y avaient goûté en ITALIE et en PROVENCE pendant la guerre. Un tir d’artillerie de 105, bien réglée parachève l’affaire et la voie est libre. Les unités peuvent occuper les abords de la route et le convoi peut passer vers DONG KHE.
Sur la route, que j’aperçois au pied de mon poste il y a une agitation bien inhabituelle pour moi, et ce n’est pas désagréable à regarder. Je vois arriver mon Commandant de compagnie, le Capitaine CASANOVA, qui vient m’annoncer que mon poste est abandonné et que je rentre à DONG KHE.
Nous ne traînons pas pour réunir tout le matériel, munitions, etc... et mettre quelques charges d’explosifs pour détruire le poste et je suis prêt, sans aucun regret à descendre sur la route pour embarquer sur les camions.
Je prends avec moi, le drapeau qui flottait sur le poste, bien délavé et déchiré. Je l’ai offert en 1988 au Musée de l’Infanterie à Montpellier, où il est exposé."

Les pitons situés à l'Est du col de Loung Phaï , face au poste du lieutenant Jaubert


Ces combats du 5 novembre 1949 ont aussi été relatés par le lieutenant Dauphin du 3° REI, chargé de tenir une position un peu au nord du col de Lung Phaï, en descendant du côté de Dong Khê : :
" Nous creusons nos emplacements de combat ou plutôt nous perfectionnons ceux que nos prédecesseurs venus ici temporairement pour une "ouverture" comme la nôtre ont commencé. L'inconvénient est qu'après notre départ les Viets ne se gênent pas pour occuper aussi de tels emplacements. Parfois, ils les piègent à l'aide de mines ou de grenades. Toute la matinée nous entendons la progression des Marocains, à grand rengort de commandements et de cris en arabe comme en français. Le 3° tabor au complet a été engagé. Les Viets occupent les pitons, comme à l'accoutumé, dans des abris naturels qu'ils connaissent bien et empêchent la progression. Sur nous rien. noys avons l'impression que les Viets ont réservé leur poudre pour les Marocains. petit à petit, les goumiers se rapprochent de nos positions.
Un Morane de reconnaissance essaie de repérer l'ennemi, en liaison sans doute avec un PGA (poste de guidage air), il veut amener les Kingcobras sur un objectif  valable, repéré avec précision. Avec un courage qui frise l'inconscience, le petit avion suit la RC 4, volant même parfois en contrebas des calcaires d'où partent les tirs. j'en connais l'occupant, le lieutenant Delmazure, un camarade de l'ALOA, mais j'ignore s'il est pilote ou observateur, ou les deux à la fois. Jourdan qui est à côté de moi me dit tout en observant le long manège de l'appareil : "le lieutenant, il n'aura pas volé sa Légion d'Honneur", hélas, quelques minutes plus tard, c'est le drame, à une soixantaine de mètres de nous, à l'entrée du col de Loung Phaï. Une salve d'arme automatique viet atteint le Morane qui s'écrase en flammes... Des rangs vietminhs jaillissent des cris de triomphe, répercutés et amplifiés par les échos dans les calcaires. C'est la consternation dans la section, par opposition à la joie du camp adverse... Pour nous l'ambiance est irréelle, folle même... c'est à peine si de temps en temps, une balle perdue vient miauler au dessus de nos têtes... Nous sommes spectateur du combat mené par les Marocains. La chasse intervient, un peu au jugé sans doute. Pourtant nous sentons que les Marocians dominent peu à peu leur adversaire et, dans la soirée, nous les apercevons en haut des crêtes. La jonction avec nous est faite? La RC 4 est ouverte, une fois encore, entre Dong Khê et That Khê."

La zone approximative où fut abattu le Morane du lieutenant Delmazure...



La dernière pente...


En poursuivant vers le col on passe à proximité ensuite d'une carrière puis d'une nouvelle stèle avant d'entreprendre la descente vers Dong Khê... Pour ceux qui s’intéressent de près à ce site, il y a encore les traces de l'ancien "poste japonais" à retrouver quelque part au niveau du col, sans doute au pied de la falaise Est...


L'arrivée au sommet du col


En franchissant le col de Loung Phaï, si on ne peut éviter de penser au chef de bataillon Segretain qui a été enseveli au pied de la côte 703 par les Viets... ayons aussi une pensée pour le capitaine dentiste (F) Paule Gravejal tuée lors du passage de ce col et dont le corps a apparemment été inhumé de façon sommaire au bord de la piste, dans ces mêmes parages... Venue en Morane pour effectuer des soins dentaires au profit de la garnison de Dong Khê, elle avait tenté en vain de s'enfuir pendant l'attaque de mai 1950 juste avant que la citadelle ne tombe pour la première fois, en compagnie des survivants du 8° RTM ralliés autour du cne Brun) pour tacher de rejoindre That Khê...


Le franchissement du col...


Le col une fois franchi, nous entamons la longue descente vers le boulevard de la 73/2 en laissant la côté 703 sur notre gauche...

mercredi 7 mai 2014

Le pont Bascou

          Tous ceux qui s'intéressent à l'histoire de la RC 4 connaissent le pont Bascou, car ce passage marquait pour les hommes des convois de ravitaillement le début de la longue montée vers le col de Loung Phaï...


En octobre 1950 c'est aussi à cet emplacement que sont venus aboutir un certain nombre de rescapés des combats de Coc Xa, dont le sous-lieutenant de Pirey et le capitaine Jean-Pierre, et qui après y avoir été recueillis par des éléments amis ont pu gagner That Khê afin d'y être rapatriés par avion dans les dernières heures avant l'évacuation...

Le pont Bascou en 2003
© Indo Editions - "Les combats de la RC4"
(Photo collection Lepage - Rochard)


Le pont Bascou en 2008
(Photo G. Passelande)


Le pont Bascou en 2013

A notre grand regret nous n'avons pu voir le pont Bascou de l'époque car là comme ailleurs, la modernisation des infrastructures routières a fait son oeuvre. Ceci ne nous a pas empêché toutefois de descendre à la recherche des vieilles pierres qui marquaient sa présence... Seuls restaient sous l'eau de vieilles poutrelles attestant du passé et les sous-bassements de l'ancien pont déjà enfouis sous la végétation... Mais pour nous c'était déjà suffisant...

Les vestiges du passé


Une coupure apparemment insignifiante...


 Une remontée pas nécessairement évidente pour les curieux...


L'emplacement de l'ancien poste Bascou 

Le poste du pont Bascou qui dépendait de la garnison de That Khê était tenu par les hommes du 1/3°REI - 4ème Cie. Ce poste qui était à l'époque entouré de barbelés avait pour mission de protéger le pont. Malgré cela, ce dernier fut en partie détruit peu avant la bataille de Dong Khê ce qui eut pour conséquence d'empêcher l'acheminement des pièces d'artillerie que le lieutenant-colonel Lepage avait pris avec lui afin de disposer d'un appui dans sa tentative de reconquête de Dong Khê...
Là aussi il ne nous a pas été possible de retrouver le site car l'emprise était clôturée... mais on peut toujours l'imaginer...

Parachuté sur That Khê le 8 octobre 1950, le 3° BCCP du capitaine Cazaux (renforcé par la compagnie Loth) fit mouvement en direction du nord et emprunta une piste passant à proximité de cette ferme afin d'essayer d'atteindre par la ligne de crête les positions du capitaine Labaume détaché en recueil un peu plus au nord, sur les contreforts de la cote 608, au débouché de la vallée de Quang Liet suivie par les rescapés des deux colonnes. Après avoir couvert le repli des derniers éléments qui étaient parvenus à échapper à la nasse du vietminh jusqu'au 10 octobre, le 3° BCCP rompait le contact et tentait de s'esquiver en direction du sud mais il devait être anéanti au niveau de Deo Cat (voir billets précédents).


A partir du pont Bascou c'est ensuite la longue montée vers le col...







That Khê

          Une fois franchi le Song Ky Cong, l'ex RC 4 traverse la plaine de That Khê pour entrer dans ce village rue. De part et d'autres de la localité s'étendent des rizières et même si de nombreuses maisons ont été bâties depuis les années cinquante, il n'est pas trop difficile de s'y retrouver.


Ceux qui désirent faire étape à That Khê peuvent se reporter à l'article écrit précedemment et qui donne les coordonnées d'un hôtel relativement confortable et propre.


Les entrées sud-est de That Khê


La plaine située à l'ouest du village


That Khê en 1950

That Khê ne présente guère d'intérêt dans la mesure où les seuls endroits qui mériteraient un arrêt sont l'ancienne citadelle et la chapelle.
Comme c'est le cas presque partout, la citadelle des Français est aujourd'hui occupée par l'armée populaire vietnamienne et il est donc impossible d'y pénétrer ou d'y prendre des photographies.
Sur la photo ci-dessous, on aperçoit distinctement l'ancienne citadellelle. Il semblerait que cette photo ait été prise lors du parachutage de la première vague du 1er BEP (PC, 1er et 3ème cies) effectué le 17 septembre 1950 après midi ou du reliquat le jour suivant, afin de couvrir la progression de la colonne Lepage qui remontait depuis Na Cham en direction du nord.



Lors de sa progression le PC du colonel Lepage s'installa dans cette citadelle pendant que les unités de la colonne effectuaient des reconnaissances en direction du col de Lung Phaï.
Le groupement Lepage a stationné une dizaine de jours à That khê (jusqu'au 30 septembre 1950) avant de reprendre sa progression vers Dong Khê. C'est à partir de cette localité que fut lancé le 23 septembre le raid sur Poma (1er BEP et 1er Tabor), hameau situé à une quinzaine de kilomètres en direction du nord-est (vers la frontière chinoise), raid qui permit le recueil d'un important et précieux renseignement qui malheureusement ne fut pas pris en compte par le commandement à Lang Son et à Hanoï. L'interrogatoire des prisonneirs et l'exploitation des documents montraient clairement que l'ennemi, après avoir franchi la frontière avec ses éléments de manoeuvre et regroupé ses forces régionales, était à l'affut avec d'importants moyens (30.000 hommes) en vue de s'emparer de That Khê...

La citadelle de That Khê en 1950

La photo ci-dessous montre l'ancienne porte de la citadelle : un espace vert a été implanté entre la route et l'enceinte ce qui permet sous couvert de photos du jardin et de la stèle commémoratrice de photographier cette emprise.


La porte d'entrée de l'ancienne citadelle de That Khê


Le détail de la porte montre que les ancienne ancres de la coloniale sont toujours en place même si les symboles qui figuraient au dessus ont été recouverts...

Détail de la porte

Le monument commémoratif des combats de 1950 


La chapelle est par contre aisément accessible et on peut se reporter à l'article écrit précedemment (Le difficile devoir de mémoire sur la RC 4) pour se faire une idée plus précise de ce bâtiment qui fera l'objet d'une réhabilitation... 

La chapelle de That Khê


Le seul vestige visible des combats de 1950 est en fait la carcasse de cette auto-mitrailleuse récupérée après l'évacuation d'octobre 1950 et qui a été installée sur un socle de bêton dans l'enceinte de la caserne de police. Même si l'engin est visible depuis la route il est plus prudent de demander l'autorisation au planton de pour le photographier.
Lors de notre passage nous avons essuyé un refus puis en insistant nous avons finalement été autorisé à prendre en photo cette épave... mais sous le contrôle du policier de service...
  

Une des auto-mitrailleuses du peloton du Lt Pascal

Antoine à la recherche de détails...


Une fois dépassées les sorties nord du village on peut poursuivre en direction de Dong Khê, situé à environ 24 km de That Khê : très rapidement la route atteint les contreforts des massifs qui se succèdent jusqu'à la côte 703, mouvement de terrain entré dans l'histoire et qui domine le col de Lung Phaï.
La plaine nord-ouest de That Khê

La RC 4 entre les sorties nord de That Khê et le pont Bascou
 
Les contreforts des mouvements de terrain séparant That Khê de Dong Khê


La RC 4 en direction du pont Bascou

Un vestige qui a vu passer les hommes de la colonne Lepage...


A quatre kilomètres au nord de That Khê on arrive enfin sur le pont Bascou, site qui fera l'objet du prochain article car c'est à prtir de cet endroit que l'on entame la montée du col de Loung Phaï...

L'arrivée sur le pont Bascou