samedi 10 mai 2014

Coc Xa : un parcours chargé d'histoire... (1)

          A présent que s'achèvent la visite de Dong Khê et le rappel à propos des combats qui y furent livrés en mai et septembre 1950, il est temps de se rendre sur le lieu où furent anéantis les restes des colones Charton et Lepage. Cette dernière en particulier a connu dans la zone de Coc Xa un destin tragique qui a vu disparaître lors d'une percée sanglante pour rejoindre la vallée de Quang Liet, le 1er BEP et de nombreuses unités élémentaires des autres formations (Tabors, Tirailleurs marocains...).


Compte tenu de la richesse en informations disponibles à propos des combats de Coc Xa j'ai décidé de rédiger deux billets :
- le premier billet est destiné à présenter le parcours depuis Dong Khê jusqu'au débouché du sentier du goulet dans la vallée de Quang Liet afin d'aider à s'y rendre ceux qui le souhaiteraient ;
- le second billet est consacré à récapituler de façon non exhaustive quelques uns des témoignages disponibles sur les combats, illustrés de quelques photos supplémentaires, afin d'offrir une mise en perspective des affrontements.

A partir de Dong Khê, il est très facile de rejoindre la zone où se déroulèrent ces combats tragiques car le site de Coc Xa ne se trouve qu'à quelques kilomètres de la bourgade... mais encore faut il savoir où il se trouve et comment y aller...
Ainsi qu'on peut le voir sur cette vue Goggle Earth la distance séparant Dong Khê du site de Coc Xa est d'environ 6 kilomètres ce qui permet de faire l'aller-retour entre la bourgade et le goulet en une demi-journée sans problème. Par temps sec, en ne dépassant pas la zone de la Source, il faut compter environ 1h30 à 2 h de marche à l'aller et autant au retour, avec le franchissement du col au niveau des côtes 760 - 765, à 4 km de Dong Khê.

Le parcours entre Dong Khê et Coc Xa
(Photo Google Earth)

Si l'on souhaite poursuivre après "La source" et descendre jusqu'au hameau de Coc Xa dans la vallée de Quang Liet, il faut compter une demi-heure de plus à l'aller mais au moins une heure à une heure trente pour remonter... car la pente est extrêmement forte sur la seconde partie de cette descente qui s'étend sur environ 500 m ce qui exige de faire relativement attention...
Dans tous les cas, à part vouloir impérativement contempler les barrières calcaires depuis le bas ou poursuivre la vallée de Quang Liet soit vers le Sud (en direction des hameaux de Cok Ton, de Ban Ka, de Na Kao) soit vers le Nord (Quang Liet, débouché sur l'ancienne RC 4), on peut se contenter d'un moment de recueillement au niveau de "La Source" avant de rebrousser chemin par le même itinéraire.
En raison de la densité du sous bois en dessous de la source et de la pente cette seconde partie de l'itinéraire offre moins d'intérêt.
A l'attention de ceux qui souhaiteraient descendre jusqu'à la vallée et poursuivre soit en direction du Nord, soit en direction du Sud, je publierai prochainement un complément d'informations pour rejoindre le col de Loung Phaï aux environs des côtes 608 et 703 (première option) ou la RC 4 au Nord Ouest du col de Nguon Kim (deuxième option)... Ces deux parcours sont aisément franchissables dans la journée et on peut toujours se faire récupérer par un véhicule (taxi ou moto commandés avant le départ).
Antoine Baudot qui a également prolongé le parcours en poursuivant plein Sud après Cok Ton en direction de That Khê (itinéraire des survivants) pourra utilement rédiger un billet sur ce tronçon plus difficile à parcourir en raison de la densité de la végétation mais très riche du fait de son passé...

On peut bien entendu effectuer seul et sans problème le parcours jusqu'à "la Source" si on ne s'écarte pas de l'itinéraire, mais dans un souci de sécurité on peut aussi se faire accompagner d'un guide (comme Lham) car nul n'est à la merci d'une entorse ou d'un accident (voir la rubrique conseils pratiques)... Dans tous les cas il ne faudra pas s'attendre à ce que le guide, quel qu'il soit, soit en mesure de vous fournir beaucoup d'informations d'ordre historique... Pour cela, rien ne vaudra la consultation de ce blog et la lecture des livres régulièrement recommandés !



Rappel du contexte historique :


Suite aux combats du Na Kêo et à l'échec de la tentative d'évacuation des blessés par la RC 4 sur That Khê, les différentes unités de la colonne Lepage ont été contraintes de faire mouvement à tour de rôle depuis la plaine de Na Pa en direction de l'Ouest et de la vallée de Quang Liet, par laquelle était censée passer la colonne Charton qui se repliait vers le Sud après l'évacuation de Cao Bang.
Le 3 octobre, faisant suite au mouvement du PC et du 8° RTM vers la côte 765, le 1er Tabor (Sous- lieutenant de Pirey) qui s'était initialement installé en couverture au niveau des pitons Ouest de Dong Khê rejoint à son tour la région de la côte 760.
Le 4 octobre, le groupement Lepage quitte la ligne de crète pour descendre dans les cuvettes dominant la vallée de Quang Liet où le reste des unités le rejoint le lendemain.
Les mouvements de terrain situés au sud de la côte 765 étant déjà occupés par le Viêt-minh et suite à un problème de coordination, le sous-groupement Delcros (11° Tabor et 1er BEP) qui vient de quitter la RC 4 suite à l'embuscade du 3 octobre soir, ne peut rejoindre le reste de la colonne Lepage en franchissant le col entre les côtes 765 et 760. Les unités de ce sous-groupement sont alors contraintes de redescendre vers le sud pour rechercher difficilement un passage au milieu des calcaires. Après avoir trouvé une faille dans la barrière rocheuse, le BEP et le 11° Tabor atteignent le fond de la vallée de Quang Liet. Après un violent accrochage survenu au niveau de la côte 533 marqué par l'anéantissement de la section du lieutenant Tchabrichvili, le 1er BEP remonte la vallée à la suite du 11° Tabor vers le nord, afin de refaire la jonction avec les autres unités qui attendent le passage à leur niveau de la colonne Charton. Brancardant les blessés au prix d'inimaginables difficultés, les hommes gravissent à nouveau la falaise d'une centaine de mètre par un sentier escarpé (celui que nous allons emprunter) et rejoignent le 6 octobre le reste de la colonne Lepage regroupé au niveau des cuvettes.
Dans la nuit du 6 au 7 octobre 1950, alors que la colonne Charton se présente enfin à leur hauteur sur la ligne de crête du Qui Chan, la colonne Lepage est obligé de donner un sanglant assaut pour forcer le passage sur ce même sentier dont elle a perdu le contrôle dans la journée du 6, suite à la mise en place par le Viêt-minh d'un bouchon destiné à lui interdire toute exfiltration en direction de Charton.
Après avoir forcé le passage du sentier (lieu dit "La Source") ou descendu acrobatiquement la falaise au prix de plusieurs centaines de morts, les rescapés de la colonne Lepage rejoignent les hommes de Charton sur la ligne de crête du Qui Chan. Les survivants des deux colonnes entreprennent de poursuivre vers That Khê mais les assauts et les embuscades de l'ennemi disloquent l'ensemble de la formation... Si quelques groupes épars ou individus parviennent à passer entre les mailles du filet et à rejoindre That Khê avant son évacuation, la plupart des hommes seront capturés ou devront se rendre à bout de forces dans les jours suivants...

Pour bien repositionner l'ensemble des combats dans le "cadre espace- temps" (comme on dit dans les états-majors... !) voici la carte d'ensemble diffusée à l'occasion de la commémoration du cinquantenaire des combats :

 © A.M.A.L.E.P. - Numéro spécial Revue Trait d'Union octobre 2000
(Photo article de commémoration du cinquantième anniversaire des combats de la Rc 4)




Le parcours pour rejoindre les cuvettes de Coc Xa :

Même s'il est possible de suivre une piste partant de la plaine de Na Pa, l'itinéraire le plus pratique consiste à emprunter au niveau du marché de Coc Xa la piste qui traverse l'ancien site de l'aérodrome et poursuit en direction du Sud-Ouest en passant au milieu des jardins et des rizières :

(Photo JLM)

(Photo JLM)

(Photo JLM)

(Photo JLM)

(Photo JLM)

Les premiers kilomètres
(Photo JLM)


La vue Google Earth ci-dessous permet de se faire une idée approximative du nivellement et du site des cuvettes, approximative car il s'agit d'une représentation du relief et non d'une véritable carte topographique :


Le relief du parcours
(Photo Google Earth)


Au bout d'environ 2 km la piste devient plus étroite et commence à grimper le long des contreforts des côtes 760 - 765 ; c'est cet itinéraire que nous suivons qui a été globalement emprunté à l'époque par le 1er Tabor qui venant de quitter ses positions à l'Ouest de Dong Khê faisait mouvement vers l'Ouest ; le PC Lepage et le 8° RTM pour leur part ont suivi la piste venant de la plaine de Na Pa :

(Photo JLM)

Un parcours très agréable
(Photo JLM)


Au fur et à mesure que l'on grimpe vers les côtes 760 - 765, on a une très belle vue sur la plaine au Sud-Ouest de Dong Khê :

Vue depuis les contreforts des côtes 760 - 765
(Photo JLM)


Le sentier rejoignant la piste qui vient de la plaine de Na Pa, par où sont passés le PC Lepage et le 8° RTM (Lt Jaubert), l'itinéraire devient à nouveau praticable par les 4 x 4 et les motos :

(Photo JLM)

(Photo JLM)

 Vue sur la côte 760
(Photo JLM)

Vue sur la côte 765
(Photo JLM)


En arrivant au sommet de la ligne de crête, la piste se sépare en deux : un tronçon poursuit par la ligne de crête en direction du Sud et un tronçon descend à droite vers le Sud-Ouest en direction des cuvettes.
Ce secteur de terrain était la zone sur laquelle s'étaient installées les unités du 8° RTM et du 1er Tabor pour couvrir face à l'Est et au Nord le stationnement de la colonne Lepage : le 8° RTM était autour de la côte 765 et le 1er Tabor autour de la côte 760.
Initialement, c'est à dire avant sa bascule dans les cuvettes, le PC du Lcl Lepage était probablement lui aussi installé à proximité de l'endroit où a été prise la photo ci-dessus, c'est à dire entre les deux côtes, de façon a avoir de meilleures liaisons radio :

 L'intersection de la piste en crête et de la piste vers les cuvettes
(Photo JLM)


Pour rejoindre le site des combats il faut à présent emprunter la piste de droite qui descend et qui est rendue assez glissante du fait de la latérite :

(Photo JLM)

La descente vers les cuvettes
(Photo JLM)

Au bout de quelques centaines de mètres, la piste aboutit à un hameau de quelques maisons bâties dans la cuvette supérieur, emplacement où s'était regroupée une partie des unités de Lepage, notamment les blessés :

L'arrivée au niveau des maisons de la cuvette supérieure
(Photo JLM)

La cuvette supérieure - Vue en direction du Nord 
(Photo JLM)


Une fois arrivé au niveau des maisons, si l'on veut emprunter le sentier rejoignant la vallée de Quang Liet, il faut continuer à descendre en direction du Sud-Ouest en longeant le flanc de la ligne de crête que nous venons de franchir ; on aboutit alors à un passage rocheux ombragé fermé par une barrière en bois qui sépare la cuvette supérieure de la cuvette inférieure :

Le passage rocheux et la barrière entre les cuvettes supérieure et inférieure
(Photo JLM)


En suivant le sentier qui continue à descendre dans la cuvette inférieure on gagne ensuite l'extrémité Sud de cette dernière ; il ne faut pas s'engager au-delà de la cuvette en direction du Sud mais contourner par la droite une dépression d'une dizaine de mètres de profondeur et après avoir basculé sur la lisière droite de la cuvette, poursuivre en direction des débouchés Sud-Est de celle-ci :

La cuvette inférieure - Vue en direction du Sud 
(Photo JLM)

Les débouchés Sud-Est de la cuvette inférieure 
(Photo JLM)


Le lieutenant Stien et les partisans du BEP, plutôt que de s'engager dans le sentier qui descend vers le goulet poursuivirent a priori vers le sud en passant à gauche du piton central de la photo ci-dessus puis après avoir appuyé vers l'Ouest, trouvèrent un passage acrobatique dans la barrière calcaire pour rejoindre la vallée de Quang Liet.
D'autres, dont le sous-lieutenant de Pirey appuyant en amont du sentier sur la droite trouvèrent eux aussi un passage pour descendre en s'aidant également des lianes mais ils furent très rapidement pris à partie par les Viêt-minh qui débordaient les cuvettes par le nord des barres rocheuses ou s'y engouffraient en venant du col 760 - 765 qui venait d'être abandonné...

La mise à jour de Google Earth a mis à notre disposition des photos satellites de grande qualité qui dans le cas de Coc Xa (contrairement à Na Cham) permettent de se faire une bonne idée du terrain :



Les deux cirques et la descente vers le goulet
(Photo Google Earth)


Voici la physionomie générale de la cuvette inférieure, vue de la ligne de crête Est sur laquelle étaient installés les hommes du 8° RTM :


Le sentier qui mène au goulet, celui là même que le 1er BEP dut dans un premier temps gravir, puis dans un second temps ré-ouvrir pour forcer le passage après que le Viêt-minh se soit emparé du secteur de "La Source", est celui qui part à droite du mouvement de terrain ci-dessous :

Les lisières Sud-Est de la cuvette inférieure
(Photo JLM)

L'entrée du sentier descendant vers le goulet - Vue en direction de l'Ouest
(Photo JLM)


Le mouvement de terrain que l'on aperçoit au second plan de la photo ci-dessus est probablement celui où le Viêt-minh avait installé une mitrailleuse lourde qui prenait en enfilade la piste descendant vers le goulet.
C'est dans cette zone que nous traversons que furent regroupées les unités avant l'assaut du goulet en fin de nuit du 6 au 7 octobre 1950, vers 5 heures du matin :

 L'entrée du sentier descendant vers le goulet - Vue en direction de l'Est
(Photo JLM)


A partir du moment où l'on débute la descente par le sentier conduisant à "La Source", on s'engage dans un sous-bois relativement dense avec une succession de paliers et de passages rocheux parfois fermés par des barrières en bois destinées à éviter les divagations du bétail :

La barrière de bois avant la descente sur le goulet 
(Photo JLM)

 Les éboulis rocheux
(Photo JLM)


Au bout de quelques centaines de mètres le sentier toujours globalement orienté au Sud Ouest pénètre dans une clairière d'une centaine de mètres de long que l'on traverse  pour replonger à nouveau dans un vallon étroit :

L'entrée dans la clairière intermédiaire 
(Photo JLM)


Le débouché de "La Source" étant fermement tenu par le Viêt-minh qui s'en était emparé après la montée des hommes du 1er BEP en chassant les Tirailleurs du 8° RTM qui étaient censés le garder, il semblerait que ce soit à partir ce cette clairière que les unités du 1er BEP aient essayé de contourner le bouchon ennemi.
La 2° compagnie (Cne Garrigues), le PEG (lt Faulques) et la 3° compagnie (Cne de Saint Etienne) ne parvenant pas à passer, la 1° compagnie (Cne Bouyssou) tenta alors sans succès de trouver un passage en débordant sur la droite :

La sortie de la clairière intermédiaire 
(Photo JLM)


Après cette clairière, le sentier continue à descendre dans un sous-bois relativement dense et finit par aboutir au passage dit "du goulet" qui est un corridor entre deux gros blocs de rochers :

Le goulet 
(Photo JLM)


La piste continue ensuite à descendre en faisant quelques lacets... au milieu d'une végétation parfois envahie de "mouches à feu" qui avaient laissé un souvenir cuisant à mon guide deux ans auparavant :

Les derniers lacets du sentier avant "La Source"
  (Photo JLM)


C'est enfin l'arrivée au lieu dit "La source", cette "zone de mort" où les derniers légionnaires sont venus tomber (avec notamment le Lt Faulques) et que les goumiers et Tirailleurs qui suivaient ont franchi dans la foulée en entonnant disent les témoins survivants, la "Chahada", les derniers soldats viêt-minh ayant été mis hors de combat  :

Le rocher surplombant "La source" 
(Photo JLM)

Le lieu dit "La Source)
(Photo JLM)


Après "la Source", la descente très raide se poursuit dans le sous-bois jusqu'au hameau de Coc Xa :

 La descente entre "La source" et le hameau de Coc Xa
(Photo JLM)

 Choix du bon itinéraire de descente pour Bernard et Antoine...

Une pente raide... 
(Photo JLM)

La descente du sentier du goulet vue depuis le hameau de Coc Xa
(Photo JLM)



A l'issue de ce parcours quelque peu acrobatique sur la fin, il est temps de marquer une pause avant de faire un retour sur les témoignages à propos des combats...


 La pause pour Lham et moi...
 (Photo JLM)

Dong Khê : les combats... (3)

          Après cette visite de la partie haute de la citadelle, il est temps de présenter le déroulement des attaques que cette dernière a subi, en mai puis en septembre 1950.


Ce blog n'ayant pas pour vocation de relater de façon détaillée les combats qui se sont déroulés en Indochine, je ne développerait donc pas tous les récits et témognages disponibles à propos de ces deux attaques... Je me contenterai simplement d'illustrer par quelques citations et photographies les assauts subis par le 8° RTM et par le 3° REI dans le cadre de ce retour en images sur les lieux du passé...

Pour en savoir davantage sur ces évènements le mieux est de se reporter aux références bibliographiques indiquées au bas de ce billet.


Afin de simplier le positionnement des différents combats je republie toutefois la photo aérienne de Dong Khê :

Le dispositif de défense de défense de Dong Khê en mai 1950
© Indo Editions - "Les combats de la RC4"
(Photo aérienne)



La première attaque du poste de Dong Khê (25 et 26 mai 1950) :

La première attaque de la citadelle de Dong Khê semble être le résultat d'un cafouillage du côté vietnamien car l'ordre pour l'assaut fut, si l'on se fie aux témoignage du colonel Dang Van Viet rapportés dans "Les combats de la RC 4", donné par le commissaire politique local et non par l'état-major du général Giap...

Le schéma ci-dessous fait apparaître les axes d'attaques utilisés par le vietminh pour s'emparer du poste : après le déclenchement des tirs d'artillerie le 25 mai matin qui causèrent la mort du capitaine Casanova vers midi, l'ennemi s'est emparé dans un premier temps du piton Montmartre (ou piton nord), puis du quartier Dubouchet avant de donner l'assaut définitif sur la citadelle par les abords Nord-est...
Les survivants, aux ordres du capitaine Brun s'esquivèrent en direction de Loung Phaï par les abords Sud-est de l'éperon rocheux.
Le lieutenant Jaubert qui occupait le secteur sud-ouest de Dong Khê, dans l'impossibilité de rejoindre la colonne Brun, ne put que se réfugier sur le piton sud pour y attendre avec sa section le largage du 3° BCCP...

Le croquis de l'attaque des 25 et 26 mai 1950
© Erwan Bergot - "La bataille de Dong Khê"

Nota : on relèvera que sur ce croquis l'aérodrome a été positionné à 2,5 km environ du marché de Dong Khê ce qui est de toute évidence (cf. photo aérienne) exagéré... Il y avait tout au plus 500 mètres entre les lisières du village et la piste.

Un témoignage à propos de cette attaque du 25 mai 1950 a été donné par le lieutenant Jaubert dans ses mémoires :
" Un matin de mai 1950, le 25, à 7h au moment du rassemblement pour la répartition du travail, nous recevons une bordée d’obus qui tombent sur la citadelle et le village. Chacun rejoint son emplacement de combat, et nous apercevons bien dans les calcaires les départs des coups de canon, car les viets à cette époque ne savent tirer qu’à vue.

Dans l'échancrure entre les deux sommets, une des positions d'artillerie ennemie
(Piton sur la route en direction de Ta Lung)
(Photo JLM)

 La radio alerte le commandement et on nous envoie l’aviation. Mais le plafond est très bas, le temps est gris et brumeux. Un pilote casse-cou, que nous connaissons bien, le Commandant Boudier, pique dans la brume, passe au dessus de la citadelle en rase-mottes en battant des ailes et redisparait dans les nuages. Quand la brume se lèvera les chasseurs reviendront, mais nous n’avons aucune liaison radio sol-air. On tire des obus fumigènes sur les objectifs pour les indiquer aux pilotes. Ils font ce qu’ils peuvent, quelques passages à la mitrailleuse, mais en fait ils ne nous sont pas d’un grand recours, d’autant plus que les viets cessent le tir quand les avions sont là, et le reprennent dès qu’ils tournent le dos.


Le piton Nguyen (Poste contrôlant les accès Est de Dong Khê)
(Photo JLM)

Nous recevons toujours autant d’obus sur la figure. Une partie de la citadelle et les paillotes du village brûlent. Nos deux canons de 105 sont touchés et ne peuvent tirer. Le Capitaine Casanova est tué, ainsi que mon adjoint, le Sergent-Chef Remond. La maison que j’occupais reçoit des obus sur le toit, ce qui fait un joli feu d’artifice avec les tuiles. Heureusement que nous sommes dans les tranchées creusées tout autour. La nuit se passe avec quelques attaques viet au Nord, mais sans gravité. Le lendemain, nous apprenons qu’un Tabor marocain quitte That Khê pour venir jusqu’à nous (il a 30 km à faire dans un terrain épouvantable et mettra plusieurs jours), et qu’un bataillon de parachutistes est en alerte à Hanoï.
Toute la journée se passe avec les tirs d’artillerie et de mortier et des assauts en fin de journée qui sont repoussés.
Mais à la nuit tombée, le Capitaine B... qui avait pris le commandement pour remplacer le Capitaine Casanova, prend la plus mauvaise décision qu’il pouvait choisir et en tout cas indigne d’un chef responsable. Jamais, j’en suis intimement convaincu le Capitaine Casanova n’aurait agi de la sorte.
Omnibulé par la colonne de goumiers partie de That Khê pour nous " secourir ", B... décide d’aller à leur rencontre et d’abandonner Dong Khê. C’est un véritable abandon de poste devant l’ennemi ! Il n’y avait pourtant qu’une seule chose à faire : Se regrouper tous dans la citadelle et ses abords immédiats et tenir toute la nuit. Nous étions encore assez nombreux pour résister, même avec un peu de casse. Dès le jour venu les paras auraient sauté sur le poste, et nous n’aurions pas perdu la face.
Au lieu de cela, c’est l’évacuation précipitée qui est ordonnée, et dans ce cas là nos tirailleurs ne sont pas très bons et ont tendance à une certaine agitation qui peut facilement engendrer la panique et la déroute.
Les unités plus ou moins constituées passent par mon point d’appui pour prendre la route de That Khê. On me prie de suivre le mouvement mais je refuse net. J’ai un groupe au sommet du Piton Sud, je vais d’abord aller le chercher et non pas l’abandonner.


L'ancien emplacement du poste sud (pagodon)
(Photo JLM)

Le piton sud
(Photo JLM)

Avec mes autres tirailleurs nous grimpons au sommet du Piton où mon Sergent Seghir, ne fait que répéter " comme à Cassino, mon Lieutenant, comme à Cassino !... " Il y avait été blessé, et exagérait un petit peu. Mais ça tombait tout de même pas mal. Ayant regroupé ma section, je redescends et arrivé sur la route, il n’y a plus personne. Tout le monde a filé. Seul le village continue de brûler et éclaire sinistrement la citadelle, tandis que l’on entend les viets crier de joie, sans doute un peu surpris d’une victoire aussi facile.
Je décide alors de remonter sur mon Piton et d’aller me planquer dans les fourrés à mi-pente. Si nous sommes attaqués, nous nous défendrons, sinon nous attendrons. Je ne sais pas trop quoi d’ailleurs. Les tirailleurs n’en mènent pas large, mais je suis avec eux, ils ont confiance en moi et moi en eux.
Le jour arrive, nous sommes coincés dans notre broussaille d’autant que les viets sont partout pour piller tout ce qu’ils peuvent récupérer.
Si rien ne se passe dans la journée, nous tenterons de partir vers That khê la nuit prochaine, mais cette éventualité est pleine d'embûches et d’incertitudes. D’ailleurs la plupart de ceux qui sont partis avec le Capitaine B..., ont été tués ou fait prisonniers. Une petite dizaine a pu passer.
La journée est longue, sans manger, sans boire, sans fumer, sans tousser et faire le moindre bruit. Les viets passent plusieurs fois à quelques mètres, sans se douter qu’une section de tirailleurs est là.


Les alentours du piton sud
(Photo JLM)

Vers le milieu de l’après-midi, les avions de chasse reviennent et commencent à mitrailler tout ce qui bouge sur la citadelle et aux environs. Nous recevons quelques douilles mais pas de balles...
Dès que les chasseurs arrêtent le tir, nous entendons le bruit caractéristique de nombreux avions de transport (en fait plus de 30 JU 52 et DAKOTA) et c’est le parachutage du 3ème Bataillon Colonial de Commandos parachutistes. Si nous n’avions pas évacué Dong Khê aussi précipitamment, il était prévu de les faire sauter dans la matinée. Apprenant la décision du Capitaine Brun., il y a eu un certain flottement à Hanoï et le saut a été reporté dans l’après-midi pour reprendre le poste.

Vue générale de la DZ sur laquelle fut largué le 3° BCCP le 27 mai 1950
(Photo JLM)

C’est un moment de joie intense pour nous. Nous entendons les tirs de quelques combats, mais pour moi, avant de rejoindre les paras, il vaut mieux prendre quelques précautions pour que nous ne soyons pas confondus avec les viets. Je fais attacher un chèche au bout d’un fusil et nous sortons de nos broussailles colonne par un. Je suis en tête avec mon tirailleur qui agite frénétiquement son fusil-drapeau et nous rencontrons enfin un groupe de paras un peu ahuris.
Ils pensent que nous sommes les goumiers qui arrivent de That Khê, mais ils mettront encore deux ou trois jours avant de nous rejoindre. Je suis tout de suite dirigé vers le Colonel Graal qui commande l’opération. Je lui raconte mes aventures et il me donne le commandement du 8ème RTM, qui s’est grossi, outre ma section de quelques individuels. Je suis bien sûr chargé d’organiser ces rescapés pour en faire une petite unité militaire présentable, mais également de régler les problèmes d’organisation et de ravitaillement. Une tâche pénible dont je suis chargé est de rassembler les corps des tués, d’essayer de les identifier et de les enterrer au pied du piton Nord, où très vraisemblablement ils sont toujours.
Nous apprenons que la colonne de goumiers qui venait à notre secours est bloquée à quelques kilomètres de Dong Khê et qu’ils ont besoin de ravitaillement en vivres. J’organise donc une colonne de ravitaillement et ce sont les " assiégés " qui vont au secours de leurs " sauveurs "...
Enfin, les goumiers arrivent à Dong Khê, commandés par le Colonel Lepage (dont on reparlera) avec comme adjoint le Commandant Labataille, un colosse du Sud-Ouest à la voix rocailleuse et la moustache conquérante, avec lequel je sympathise. Malheureusement, il sera tué quelques semaines plus tard.
J’apprends ainsi la quasi disparition des éléments des deux compagnies qui sont partis avec le Capitaine B.... Quel gâchis en vies humaines et quelle humiliation aussi, car dans quelques jours lorsque je redescendrai à That Khê, un Général* refusera de me serrer la main car dans l’esprit du commandement le 8ème RTM a failli à son devoir. De même aucune citation ne sera accordée, et ce sera difficile à expliquer aux tirailleurs. C’est dur de subir ainsi la conséquence de l’incompétence et de la couardise d’un " chef ". Brun avait été fait prisonnier avec quelques autres qui sont morts. Quand il nous a rejoint au camp n° 1 je l’ai ignoré ainsi qu’après la libération. De son côté, il n’a jamais cherché à me revoir en face...
Cela fait maintenant beaucoup de monde à Dong Khê. Les patrouilles envoyées dans les environs récupèrent nos véhicules et nos deux canons, déjà démontés.... Pour ma part, toutes mes affaires ont été pillées, et je me retrouve avec ce que j’ai sur le dos et une cantine vide...
Un convoi de camions arrive jusqu’à Dong Khê, avec du matériel. Il embarque pour le retour les paras du 3ème BCCP et mon détachement de survivants. Le Tabor va rester sur place, pour remettre en état et développer les défenses.
Après une bonne nuit de repos à That Khê où je retrouve des copains de promo, en particulier Boudier, j’arrive à Lang Son. J’y retrouve la base arrière du bataillon et des renforts de tirailleurs pour compenser les pertes, ainsi que le Capitaine Guidon pour remplacer le Capitaine Casanova."
(Source : http://jaubert.chez.com/indchine.htm)

* Le général Marchand.


A l'issue de la reconquête du poste par le 3° BCCP du commandant Decorse, qui profita d'une reconnaissance en direction du col de Nguon Kim pour récupérer une partie des pièces d'artillerie récupérées pat le Viêt-minh et dissimulées dans l'ancien tunnel,  l'état-major fit réoccuper la position par des unités du 8ème Tabor monté avec la première colonne de secours du Lcl Lepage.
Par le jeu normal des relèves ce fut ensuite un détachement du 3° REI qui prit la relève le 6 septembre 1950, beaucoup s'étonnant toutefois que l'on ne fasse monter pour remplace le Tabor que l'effectif de deux compagnies...



La seconde attaque du poste de Dong Khê (16 et 17 septembre 1950) :

La seconde attaque de Dong Khê fut planifiée par le Vietminh comme un prélude à la prise de That Khê. Le poste de Dong Khê en raison de sa position centrale était un objectif qu'il fallait impérativement prendre avant toute tentative d'assaut sur That Khê ou même sur Cao Bang dont les défenses étaient trop solides pour les moyens dont disposaient l'adversaire.
Lors de la seconde attaque, le capitaine Allioux commandait la position et il avait avec lui deux compagnies de légionnaires, la 5° cie du capitaine Jaugeon (qui parviendra à s'évader après la chute) et la 6° compagnie du capitaine Vollaire (qui se signalera au camp n°1 par ses croquis et ses carricaturesréunis dans l'ouvrage "Deux ans de Ka Nha" publié chez... Indo Editions...).

Voici que qu'écrit le lieutenant Stien au sujet de cette attaque :
"Cette fois ci, Dong Khê sera attaqué non pas en coup de main de va et vient comme en mai 1950, mais pour faire sauter définitivement ce point d'appui et isoler ainsi Cao Bang. C'est le régiment 174, commandé par Dang Van Viet et renforcé par un bataillon de la brigade 308, le bataillon 11, qui mène l'attaque par le Nord et le Nord-est, tandis que le régiment 209, commandé par Le Long Tan, et renforcé par le bataillon d'artillerie 178 attaque par le Sud et l'Ouest. La brigade 308 assure la coordination du front et l'interception des renforts. L'ensemble est commandé par Hoang Van Thai, le chef d'état-major général.
On sait que Dong Khê est pris après deux jours de combat acharnés, sans que le commandement français ait pu dans ce délai, faire intervenir une colonne de secours. Après la conquête, la citadelle reste occupée par une partie du régiment 209, tandis que les autres forces de Giap se retirent de part et d'autre de la RC 4, et restent en attente. Si des renforts montent vers Dong Khê, ils seront attaqués. dans le cadre de la strayégie définie, Dong Khê doit rester définitivement entre les mains du Viêt-minh.
Le prochain objectif est déterminé : ce sera That Khê, Cao Bang sera ainsi plus isolé et vulnérable. Le régiment 174, qui connaît bien la RC 4, est envoyé immédiatement au sud de That Khê, avec mission de faire sauter les postes entre That Khê et Na Cham (il s'agit des postes de Déo cat et de Lung Vaï)."

C'est à la suite de cette seconde attaque que le Lcl Lepage, décidément habitué de ce type d'opérations, pris le commandement d'une seconde colonne de secours (celle qui sera appelée désormais "colonne Lepage") et qui après avoir forcé le passage du tunnel de Tha Lai (voir billets précédents) rejoignit dans un premier temps That Khê, puis suite au raid sur Poma s'engagea en direction de Dong Khê pour y être détruite dans les combats du début octobre 1950...

Le croquis de cette attaque a été fait dans le livre du colonel Dang Van Viet "La RC 4" et un extrait de cette dernière est disponible dans le livre "Les combats de la RC 4" :

Le croquis de l'attaque des 16 et 17 septembre 1950
© Indo Editions - "Les combats de la RC4"
(Photo Collection Dang Van Viet)


Sur le croquis ci-dessous (adapté du croquis de l'attaque du mois de mai), on note quelques différences d'emplacements par rapport aux schémas précédents de la citadelle, à l'époque où le lieutenant Jaubert y séjournait :

 Shéma d'ensemble du poste de Dong Khê en septembre 1950
© Bernard Grué - "L'espoir meurt en dernier"


Vue en coupe de la citadelle
© Bernard Grué - "L'espoir meurt en dernier"

Entre autres remarques, on notera que l'ennemi avait pour la seconde fois installé une position d'artillerie dans la même échancrure du piton situé sur la route en direction de Ta Lung et que certains bâtiments n'avaient plus la même destination que précedemment... Sans doute faut il y voir là, la conséquence des bouleversements et des destructions consécutifs à l'attaque du mois de mai 1950.
Ces destructions sont d'ailleurs parfaitement visibles sur la photographie ci-dessous prise entre les deux attaques, au niveau du glacis nord de la citadelle actuellement occupé par l'emplacement du cimetière militaire vietnamien :

 Le glacis nord dévasté et le piton Montmartre
© Indo Editions - "Les combats de la RC4"
(Photo Collection Dutrône)

Remarque :
A l'attention des lecteurs de ce blog intéressés par ces combats, d'autres photographies sont disponibles dans l'ouvrage "Les combats de la Rc 4" mais comme celles-ci n'étaient pas indispensables à un "retour sur le terrain" je ne les ai pas intégrées dans ce billet...
Parmi les récits disponibles sur ces attaques, outre le livre "Les combats de la RC 4" on peut se reporter entre autres au récit du sous-lieutenant de Pirey "La route morte" qui relate le témoignage d'un ancien officier vietnamien rallié au commando Vandenberghe louant le courage et la tenacité des défenseurs du 3° REI sous les ordres du capitane Allioux, à l'ouvrage du docteur Serges Desbois "Le rendez-vous manqué des colonnes Charton et Lepage" et au tout récent livre du colonel Bernard Grué "L'espoir meurt en dernier" qui à l'époque était lieutenant au sein d'une des deux compagnies du 3° REI lors de l'attaque sur Dong Khê (voir (http://www.armee-media.com/2014/02/21/lespoir-meurt-en-dernier-par-bernard-grue/)..., cette liste étant loin d'être exhaustive...

Le récit détaillé de cette attaque a aussi été fait sur de nombreux sites internet comme More Majorum :
( http://www.more-majorum.de/einheiten/3rei/bat2/dongkhe.html ).